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L’arrestation illégale de l’ex-président brésilien Luiz Inácio ‘Lula’ da Silva et la rapidité du procès contre lui ont mis en évidence, une fois de plus, l’agressivité avec laquelle la droite politique, économique, médiatique et judiciaire est en train de foncer contre l’avancée des classes populaires de notre pays. Que personne ne s’y trompe : ce n’est pas la justice qui est en jeu, mais la tentative désespérée des classes dominantes d’éviter que Lula ne se présente aux élections nationales d’octobre et de freiner les progrès du programme pour les droits de la majorité de la population.

C’est pourquoi, en ce moment historique du Brésil, le fait de crier « Lula livre » (Libérez Lula) est beaucoup plus que l’expression de la préférence pour un parti politique (l’ex-président appartient au Parti des travailleurs, PT) ou pour un candidat en particulier. La lutte pour que Lula puisse se présenter aux élections représente la résistance du peuple organisé (paysans, travailleurs, étudiants, féministes, écologistes, noirs, indigènes parmi bien d’autres) aux tentatives d’annuler les progrès en faveur des classes populaires accomplis grâce à l’éveil de nos consciences.

Des coups d’État multiples

En juillet 2017, le juge fédéral Sergio Moro condamna Lula à neuf ans et demi d’emprisonnement, pour corruption passive et blanchiment d’argent dans le cadre de l’affaire « Lava Jato ». Moro affirmait que Lula da Silva serait le propriétaire secret d’un triplex situé dans la municipalité de Guarujá, sur le littoral de l’État de São Paulo, que l’entreprise de construction OAS lui aurait donné en échange de contrats de travail avec l’entreprise pétrolière publique Petrobras.

En janvier 2018, le Tribunal régional fédéral de la 4e Région (TRF4), à Porto Alegre, porta la peine à 12 ans et un mois de prison. La demande de Lula de rester libre pendant pendant qu’il faisait appel à cette décision fut refusée le 4 avril par le Tribunal suprême fédéral et, tout de suite après, le juge Moro somma Lula de se présenter à la police, ce qu’il fit le 7 avril, après un rassemblement massif en face du syndicat des métallurgistes de São Bernardo, à São Paulo.

Des centaines de juges, d’avocats et d’autres experts en matière de justice, nationaux et étrangers, affirmèrent que le procès contre Lula fut illégal et inconstitutionnel, et que la décision de Moro de demander l’emprisonnement immédiat du candidat du PT avait été hâtive et excessive parce qu’il ne s’agissait pas d’un criminel en fuite.

Rien ne prouve que l’appartement en question appartienne à Lula : pour les membres des mouvements populaires, le procès a été une mise en scène, derrière laquelle se cache une manœuvre politique destinée à éviter que l’ex-président, dont le taux d’approbation est de 80 % dans certaines régions du pays, soit réélu.

L’emprisonnement de Lula est la conclusion de la deuxième étape du coup d’État de 2016, où fut renversée Dilma Roussef, la présidente légitime de l’époque et elle aussi membre du Parti des Travailleurs, qui avait remporté les élections de 2014 avec les voix de plus de 50 millions de Brésiliens. Sa destitution fut le résultat de manoeuvres parlementaires, judiciaires et médiatiques destinées à privatiser le Brésil, à le livrer aux banquiers, aux transnationales et à l’élite nationale conservatrice, qui soutiennent à présent le pouvoir de Michel Temer, l’actuel ‘président’ illégitime et servile.

Temer est soumis, par exemple, à des entreprises que l’on peut taxer de criminelles à l’égard du climat, comme les transnationales pétrolières Shell, Exxon et BP. En échange de leur soutien, ces entreprises ont obtenu que la législation concernant l’exploitation pétrolière offshore soit modifiée en leur faveur, et elles essaient maintenant d’obtenir le contrôle de l’entreprise publique Petrobras.

Une question de vie ou de mort

Soyons clairs : ce qui est en jeu au Brésil c’est le droit des gens à l’alimentation, au logement, à la santé, à l’éducation et à vivre sans peur. Depuis l’arrivée de Temer au pouvoir, les crédits à l’agriculture familiale, les programmes de logement pour les familles à faible revenu et de récupération et développement de la culture populaire brésilienne ont été supprimés, ce qui représente un recul de plusieurs décennies. Les transnationales et les élites agricoles nationales en ont été les bénéficiaires. Les dépenses publiques en éducation et en santé ont été gelées pendant les vingt prochaines années au moyen d’un amendement à la constitution approuvé par le Congrès et ratifié par Temer. Les programmes sociaux et politiques du PT pour les femmes ont été démantelés ou leurs budgets réduits de façon drastique, tandis que le coût de la vie se multipliait et que le salaire minimum diminuait. La prochaine contre-réforme – celle de la sécurité sociale – retombera une fois de plus sur le dos des femmes et des travailleurs, tandis que les banques en tireront des bénéfices exceptionnels.

C’est ce que dénoncent, entre autres, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) et le Mouvement des travailleurs sans toit (MTST), représentants des fronts Brésil populaire et Peuple sans peur respectivement, qui rassemblent la résistance contre la dictature dans le pays. À eux se joignent la Marche mondiale des femmes, la Centrale unique des travailleurs, la Commission pastorale de la terre (CPT), le Mouvement des victimes des barrages, le Mouvement des femmes paysannes, et tant d’autres qui luttent ensemble pour la démocratie.

La vie même est en jeu au Brésil ; voilà pourquoi l’unité de la gauche et du peuple est fondamentale pour la défendre.

En février, après un carnaval de Rio où l’école de samba Paraiso do Tuiuti demandait si l’esclavage était vraiment aboli, le gouvernement fédéral illégitime ordonna l’intervention de l’armée pour assurer la sécurité dans la ville. Cette intervention militaire permit à Temer de gagner du temps pour faire approuver certains amendements à la constitution tels que la réforme de la Sécurité sociale, pour lequel le gouvernement n’avait pas encore les voix nécessaires. Le 14 mars fut assassinée Marielle Franco, l’une des activistes des droits de l’homme qui combattaient le plus contre l’occupation militaire des favelas. Elle était lesbienne, noire, féministe, sociologue et conseillère municipale du parti Socialisme et liberté (PSOL). Elle fut abattue, ainsi que le conducteur du véhicule, Anderson Pedro Gomes, pendant qu’elle voyageait avec sa conseillère Fernanda Chaves qui survécut à l’attaque. La veille, Marielle  Franco avait dénoncé les abus commis par l’armée dans la communauté d’Acari de Rio de Janeiro.

Le 24 janvier avait été assassiné Márcio Oliveira Matos, un dirigeant du MST de 33 ans qui vivait depuis plus de dix ans dans le village de Boa Sorte, dans la région de Chapada Diamantina de Bahia, où il était secrétaire administratif de la municipalité d’Itaetê. D’après un rapport de Front Line Defenders du mois de janvier, le Brésil et la Colombie sont les pays où les meurtres de défenseurs des droits de l’homme ont été les plus nombreux en 2017 : 156 morts sur un total d’au moins 212 dans toute l’Amérique latine. De son côté, la CPT, qui se spécialise dans l’analyse des conflits fonciers au Brésil, dit que les violences de ce genre à l’encontre des défenseurs de droits de l’homme avaient battu tous les records depuis 2003.

La renaissance du colonialisme

Notre Amérique latine connaît par cœur les assauts des forces impérialistes contre ses processus démocratiques. La situation actuelle au Brésil nous ramène au coup militaire de 1964, où des milliers d’activistes furent torturés, disparus ou assassinés, et où les partis politiques de gauche furent condamnés à la clandestinité. La veille du jour où le Tribunal suprême fédéral refusa de laisser Lula en liberté en attendant le résultat de son appel, le commandant de l’armée, général Eduardo Villas Boas, avait affirmé qu’il rejetait « l’impunité » et que l’armée qu’il représentait était « attentive à sa mission de défendre les institutions ».

Nous sommes témoins d’une renaissance du colonialisme raciste qui soumit nos peuples indigènes et afro-descendants à l’esclavage, à l’expropriation et au génocide. La vague de machisme qui, au Congrès, fit saluer le départ de Dilma d’un  « Tchao chérie ! » et assassiner Marielle vise à nier nos conquêtes, à nous écarter de l’arène politique pour nous pousser vers la dégradation d’origine patriarcale.

Et pourtant, les mouvements sociaux du Brésil luttent plus durement que jamais pour une démocratie plus participative et populaire. Nous acceptons le rôle de sujets du changement et nous construisons l’unité dans la lutte pour la souveraineté. C’est pourquoi nous sommes tous Marielle, Márcio et Lula, les défenseurs des biens communs, des territoires et de la démocratie qui sont attaqués, persécutés et assassinés. Ceux qui disent aujourd’hui « Lula libre » luttent pour le changement de système et acceptent de partager cette responsabilité historique.

"Lula por Brasil” caravan, 18 August 2017 © Mídia Ninja

La caravane « Lula por Brasil » du 18 août 2017 © Mídia Ninja

Photo principale : La caravane « Lula por Brasil » du 23 octobre 2017© Mídia Ninja