Comment déterminer si un pays ou une région en fait assez pour lutter contre la crise climatique ? En utilisant la méthode des parts équitables pour le climat.
Certains des plus grands émetteurs historiques prétendent qu’ils assument une part considérable de l’effort climatique. De nombreux pays du Nord justifient leur faible ambition en comparant leurs émissions actuelles à celles de pays tels que la Chine et l’Inde, dont les émissions annuelles totales sont actuellement élevées. Cela ne tient néanmoins pas compte de l’ampleur des émissions cumulées que les pays riches ont produites au fil des ans.
Les parts équitables pour le climat (« fair shares » en anglais) sont une méthode qui nous permet de savoir quelles actions pour le climat devraient être menées, en fonction des éléments suivants :
- Le budget carbone restant : La quantité totale de gaz à effet de serre qui peut encore être émise, à l’échelle mondiale, avant que nous ne soyons exposés à un risque maximal de changements irréversibles et rapides.
- La responsabilité du pays : Elle est déterminée à partir de la quantité totale de gaz à effet de serre que le pays a déjà émis.
- La capacité de ce pays : Elle est déterminée à partir de ses ressources existantes et de sa capacité d’action.
- Le droit du pays à un développement durable.

Image: John Englart (Takver)
1. Le budget carbone
Pour calculer la part équitable d’un pays, il faut en premier lieu comprendre le concept de budget carbone.
Il est généralement admis que nous devons contenir l’augmentation moyenne de la température mondiale en dessous de 1,5 degré Celsius. De nombreux scientifiques considèrent ce seuil comme « le point de non-retour », car le franchissement de ce seuil est susceptible de déclencher les pires scénarios climatiques. Au-dessus de 1,5 degré, nous pourrions dépasser les limites naturelles de la Terre et le réchauffement pourrait s’accélérer au-delà de notre contrôle, et peut-être même au-delà de notre capacité à survivre en tant qu’espèce.
Toute élévation de température est dangereuse. Avec seulement 1,1 degré de réchauffement, la nature et les populations du monde entier subissent déjà des impacts climatiques inacceptables.
La plupart de ceux qui en subissent les pires effets sont ceux qui ont le moins contribué à la crise.
Il y a un décalage temporel entre le moment où le carbone est libéré dans l’atmosphère et le réchauffement qui en résulte. En raison de ce décalage, une augmentation supplémentaire de la température est déjà « comprise » dans le carbone émis aujourd’hui. En outre, même les réductions d’émissions les plus ambitieuses demanderont du temps afin de restructurer les économies en toute sécurité.
Dès lors, pour rester en dessous de 1,5 degré de réchauffement, il ne nous reste qu’une certaine quantité de carbone « brûlable ». C’est ce qu’on appelle le budget carbone.
En 2019, le budget carbone est déjà minuscule, et diminue rapidement. La grande question est : quelle est la façon la plus équitable de le partager ?
2. Responsabilité
De nombreux pays, en particulier les pays riches du Nord, polluent depuis près de deux siècles. Ceux qui ont accumulé des émissions historiques les plus importantes sont davantage responsables de l’actuelle crise climatique.
3. Capacité
Une grande partie des pays les plus riches du monde doivent de surcroît dans une large mesure leur richesse à cette pollution. Le charbon, le pétrole et le gaz ont alimenté l’industrialisation de ces pays, et leur ont permis de dominer la scène mondiale, politiquement et économiquement. Des pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Australie et de nombreux pays européens sont devenus riches et ont atteint un certain confort en consommant beaucoup plus que leur part équitable des ressources naturelles – y compris l’espace atmosphérique.
C’est la raison pour laquelle ces pays ont maintenant à la fois la responsabilité et la capacité de réduire le plus rapidement et le plus profondément possible leurs émissions de carbone. C’est ce que nous appelons « l’équité ». Pourquoi le reste du monde devrait-il payer le même prix, alors que quelques pays ont énormément bénéficié de ce qui nous a amenés au bord de la catastrophe ?

4. Le droit au développement durable
La plupart des pays et régions du Sud sont les moins responsables du changement climatique, tout en disposant de ressources plus limitées pour faire face à la crise. Ils ont pour autant le droit de se développer de manière durable. Il est de ce fait impératif qu’ils reçoivent un financement des pays du Nord, afin qu’ils soient en mesure de transformer leurs économies vers des filières énergétiques justes et renouvelables.Imaginez que vous arrivez à un dîner au restaurant. Le repas est déjà sur la table, mais quelques invités arrivés plus tôt en ont déjà mangé la plus grande partie. Il en reste à peine assez pour que vous puissiez remplir votre assiette. On demande alors à tous les convives de payer l’addition à parts égales. C’est parfaitement injuste : chaque personne devrait payer sa part équitable de l’addition.

Contributions financières à l’effort climatique
Il est une complication supplémentaire : certains pays ont déjà largement dépassé leur propre quota de carbone. Même si ces pays réduisaient leurs émissions à zéro (ce qui est malheureusement beaucoup moins que ce qu’ils se sont engagés à réduire), cet effort ne répondrait pas à ce qui correspond à leur part équitable.
Dans de tels cas, ces pays devront payer les coûts de la transition énergétique dans les pays du Sud, de sorte que les pays les moins responsables et disposant de capacités moindres puissent suivre une voie de développement sûr et renouvelable.
Il convient de noter que la « part équitable de financement » représente ce que chaque pays doit, ou ce qui lui est dû, aux seules fins de la transformation énergétique. Cela n’inclut pas le financement nécessaire pour permettre aux pays pauvres et vulnérables de s’adapter aux conséquences des changements climatiques. Cela n’inclut pas non plus les fonds nécessaires pour indemniser les populations touchées pour les pertes et dommages irréparables causés à leurs terres, à leurs moyens de subsistance, à leurs infrastructures et à leur patrimoine culturel.
Lorsque l’on combine ces coûts, on commence à comprendre à quel point la « dette climatique » totale due par les pays riches est véritablement colossale.

Qui fait sa part équitable ?
Diviser ainsi l’effort pour le climat peut aussi nous révéler quelles nations font déjà (ou dépassent) leur part équitable de l’effort pour le climat, et quelles nations sont loin derrière. Certains des résultats peuvent surprendre.
– Par exemple : l’UE se positionne en chef de file en matière de lutte contre les changements climatiques. Nous pouvons cependant constater à partir de ces chiffres que la réalité est tout autre. L’UE a une grande responsabilité dans la crise climatique et est capable d’agir conformément aux exigences de la science et de l’équité. Pourtant, jusqu’à présent, les actions de l’Union européenne sont loin d’être à la hauteur de ce qui est nécessaire, si l’on tient compte de la part équitable de l’UE.
– Un autre exemple : la Chine est souvent accusée d’être le plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde. Pourtant, lorsque nous considérons son action pour le climat depuis une perspective de partage équitable, force est de constater que le pays s’acquitte dans l’ensemble de ses obligations, eu égard à sa responsabilité, à sa capacité et à son droit à un développement durable.
Une grande partie des émissions de la Chine provient en outre de la fabrication de biens destinés à l’exportation vers d’autres pays, en particulier des appareils électriques et des vêtements pour les entreprises et les consommateurs des États-Unis et de l’Europe.
On pourrait faire valoir que les pays à haut niveau de responsabilité et à grande capacité ont « externalisé » ces émissions à la Chine, ce qui signifie que les grands émetteurs historiques sont également en partie responsables de ces émissions. C’est ce que nous appelons les « émissions intégrées ».
Votre pays fait-il sa part équitable ? Utilisez le Calculateur d’équité de référence pour le savoir.
