A woman in Brazil holds a sign calling to save the Amazon.

Un entretien avec Loreto de Amunategui, responsable du Système de Solidarité Internationaliste, pour la Journée des droits humains 2022.

Que signifie concrètement la « solidarité internationaliste », et en quoi est-elle associée à la justice environnementale ?

La solidarité signifie s’élever contre toutes les formes d’oppression – comme le patriarcat, le racisme et le colonialisme – ainsi que contre les diverses formes de violence qui privent les personnes de leur capacité d’organisation et de lutte pour la justice. La solidarité internationaliste, c’est lorsque différents groupes de personnes, mouvements sociaux et organisations articulent leurs demandes de justice de manière coordonnée. Elle nous permet de nous rassembler, depuis différentes parties du monde, pour dénoncer l’injustice et offrir un soutien concret à ceux qui sont confrontés à l’oppression, à la persécution et aux violations de leurs droits.

La justice n’est pas unidimensionnelle, et la justice environnementale ne peut être atteinte seule. Nous devons travailler à la fois pour la justice de genre, la justice sociale et la justice économique, et ce en solidarité avec les communautés les plus marginalisées – les femmes, les travailleurs et travailleuses, les paysan.nes, les peuples autochtones, les communautés de personnes d’ascendance africaine et la classe ouvrière urbaine.

Certaines luttes environnementales ont plus que jamais besoin de notre solidarité : la défense de l’eau et des services publics, la construction de la souveraineté alimentaire et de l’agroécologie, la gestion communautaire des forêts et la souveraineté énergétique – toutes ces luttes se recoupent avec celles contre le patriarcat, le racisme et d’autres formes d’oppression.

Comment et pourquoi les Amis de la Terre International ont-ils construit un Système de Solidarité Internationaliste ? Comment répond-il aux défis de notre contexte actuel ?

Notre Système de Solidarité Internationaliste (SSI) est né de la nécessité d’apporter une réponse internationaliste au contexte politique actuel, dans lequel les défenseur.es des territoires et ceux qui luttent pour la défense des droits des peuples subissent des attaques constantes contre leur souveraineté et une violation systématique de leurs droits.

Depuis la crise économique de 2008, le monde a assisté à une résurgence de l’idéologie conservatrice qui a pris un caractère particulièrement autoritaire, rejetant les formes traditionnelles de la politique, des médias et du savoir lui-même. Ces régimes de droite favorisent l’instabilité politique et érodent activement les principes démocratiques. Alors que le système capitaliste néolibéral s’étend, supprimant les réglementations, privatisant tous les aspects de nos vies et « rappetissant » l’État, les gouvernements répressifs s’imposent avec toujours plus de force. Ce contexte politique a conduit à une escalade dévastatrice de la violence politique, avec des attaques contre les droits des peuples et ceux qui les défendent.

Dans le même temps, les sociétés transnationales continuent d’extraire et d’exploiter les ressources de la planète au nom du profit. L’expansion d’un système économique néolibéral est en soi une cause sous-jacente des multiples crises auxquelles nous sommes confrontés – climat, biodiversité, alimentation, eau, et santé – qui menacent les systèmes écololgiques et les moyens de subsistance.

Pourtant, face à la crise, des personnes s’organisent pour défendre des territoires et des droits, et remettent en cause les principes mêmes qui forment la base du système. Nous savons que nous devons changer le système pour protéger et améliorer la vie sur Terre. Ce moment de crise ouvre la porte à ce changement de système. Dans ce contexte, en 2019, Les Amis de la Terre Internatinal se sont réunis avec des groupes alliés afin de développer une vision commune de la solidarité. C’est ainsi qu’est né le SSI.

Cette année, la Journée des droits humains a lieu pendant les négociations des Nations unies sur la biodiversité, la COP15 de la CDB, où nous défendons les droits des peuples autochtones et des communautés locales. Comment le SSI soutient-il ces luttes ?

Le travail de solidarité est holistique et se recoupe avec les thématiques sur lesquelles travaillent les Amis de la Terre International – climat, économie, systèmes alimentaires, et biodiversité. Le SSI coordonne directement avec les groupes membres des Amis de la Terre, qui travaillent en étroite collaboration avec les peuples autochtones, les communautés locales, les paysans, les populations rurales et les pêcheurs, par exemple. Ce sont ces groupes qui sont les plus impactés (lien en anglais) par les activités extractivistes des sociétés transnationales et des gouvernements, à travers l’accaparement des terres, les plantations et les projets de génération d’énergie polluante et nocive, comme l’extraction minière, les barrages, l’exploitation minière et les combustibles fossiles.

Les droits des défenseur.es de l’environnement sont primordiaux pour le Cadre mondial de la biodiversité discuté lors de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Comment le monde peut-il prétendre protéger la biodiversité si nous ne pouvons même pas protéger ceux qui la défendent ? Les droits des défenseur.es de l’environnement sont étroitement liés aux droits des peuples autochtones et des communautés locales. Lorsqu’une entreprise veut mettre en place un « projet de développement » destructeur, c’est tout un territoire qui est attaqué, et c’est toute une communauté qui se lève pour défendre ce territoire.

Le système ISS élève ces luttes et revendications locales au rang d’événements publics au niveau mondial, en tenant toujours compte des risques de sécurité. Il existe certains outils que nous et nos alliés pouvons utiliser pour défendre les droits des défenseur.es. Un exemple de cela est la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP), qui a été adoptée en décembre 2018. L’UNDROP représente une avancée importante dans le renforcement des cadres juridiques qui reconnaissent les droits collectifs, et a été une source d’inspiration et d’autonomisation pour les communautés paysannes, rurales et autochtones. Nous plaidons également en faveur de la création d’un traité contraignant de l’ONU sur les sociétés transnationales et les droits humains qui serait un outil supplémentaire pour permettre aux communautés concernées d’avoir accès à la justice.

L’année 2022 a été une année chargée pour les actions de solidarité, par exemple au Honduras et aux Philippines. Quelles sont les priorités actuelles pour le SSI ?

Le Honduras et les Philippines sont parmi les pays les plus meurtriers pour les défenseur.es de l’environnement (lien en anglais). Après le récent changement de gouvernement dans ces pays, nous avons réalisé une analyse pour comprendre les réalités et les opportunités qui se présentent aux défenseur.es.

Au Honduras, l’élection démocratique du président Xiomara Castro en mai 2022 a donné aux mouvements de la société civile une ouverture politique pour militer en faveur d’une véritable justice pour les peuples indigènes et d’ascendance africaine. Nous soutenons leurs efforts et nous nous joignons à eux pour dénoncer les tentatives du ministère public et de la Cour suprême, qui continuent à appliquer les consignes de l’ancien président Hernández, afin de saper la démocratie et les droits humains. Cette année, nous avons publié un rapport « A la résistance du peuple hondurien : Solidarité internationaliste et droits des peuples » (rapport uniquement en espagnol, bientôt traduit en anglais), dans lequel nous mettons en lumière les luttes honduriennes que nous avons soutenues au fil des ans par le biais du SSI.

Toujours en mai 2022, Ferdinand Marcos Jr., le fils de l’ancien dictateur philippin, a été élu Président des Philippines. Un rapport récent des Amis de la Terre Philippines / LRC (rapport en anglais) soulève d’énormes inquiétudes pour les millions d’autochtones du pays, car l’accaparement des terres, la marginalisation sociale et économique, la criminalisation et les violations des droits humains risquent d’être encore pires que sous le régime précédent.

Ailleurs, nous continuons à nous opposer à l’occupation illégale de la Palestine et à la guerre en Ukraine. Nous travaillons avec nos alliés pour soutenir les luttes en Colombie et au Mozambique entre autres. Nous avons assisté à un rétrécissement de l’espace accordé à la société civile dans le monde entier, depuis la « Législation anti-terroriste » au Mozambique à la « Loi sur le maintien de l’ordre » en Angleterre. Nous travaillons sur des stratégies pour adresser ces situations en 2023.

Consultez le portail numérique SSI pour plus d’informations sur nos principales campagnes de solidarité, et visitez notre page consacrée à la CDB pour en savoir plus sur nos revendications à la #COP15.


En detail : Comment fonctionne le Système de Solidarité Internationaliste ?

Notre Système de Solidarité Internationaliste est dirigé par une équipe décentralisée, agissant du niveau local au niveau mondial. Il y a des points focaux dans chaque région dont les activités sont coordonnées par un point focal basé au secrétariat international. Le Comité exécutif de la fédération fournit une orientation politique, tandis que les équipes chargées des programmes et de la communication jouent également un rôle.

Le SSI travaille selon quatre axes principaux : formation politique, documentation et analyse, réponse rapide et mobilisation.

  • La formation politique vise à élargir la conscience politique des défenseur.es et à sensibiliser et éduquer le grand public sur leur rôle en tant que sujets politiques. Nous utilisons des méthodes d’éducation populaire, éclairées par une analyse actualisée du contexte politique, avec un accent particulier sur les droits des peuples et des défenseur.es. Nous organisons des espaces d’apprentissage et d’échange, comme des ateliers, des webinaires et des événements, souvent en collaboration avec des mouvements alliés comme La Via Campesina et Marche mondiale des femmes.
  • La documentation et l’analyse consistent à cartographier et à analyser les schémas de menaces et de violences à l’encontre des défenseur.es. Grâce à cela, nous construisons une base de données et une histoire collective des luttes contre l’injustice à travers le monde, à partir desquelles nous pouvons visualiser et analyser la nature systémique de ces attaques. Cela peut nous aider à anticiper et à prévenir les attaques, ainsi que pour faire pression en faveur de mesures qui s’attaquent aux causes profondes des injustices. Cela permet de renforcer les mouvements sociaux grâce à une compréhension collective et à une plus grande capacité d’agir dans le cadre de la solidarité internationaliste.
  • Des mécanismes de réponse rapide sont en place pour les situations d’urgence auxquelles sont confrontés les défenseur.es, leurs familles et leurs communautés. Les réponses comprennent des mesures de sécurité immédiates, la fourniture d’une aide d’urgence ainsi qu’un suivi et un soutien permanents des processus de justice.
  • Mobiliser l’action politique signifie amener les militants, les groupes et les mouvements sociaux à agir ensemble, avec des messages cohérents et des demandes collectives.

Lorsqu’une demande de solidarité parvient au SSI, l’équipe évalue la situation et décide de la réponse à apporter à court et à long terme – qu’il s’agisse de verser des fonds pour assurer la sécurité d’une personne en danger, de demander à des groupes d’écrire des lettres pour faire pression sur les gouvernements, ou d’utiliser les médias sociaux pour exprimer des demandes et attirer l’attention. Nous cherchons à être stratégiques en utilisant les différents points d’entrée pour exercer une pression politique – les gouvernements, les rapporteurs spéciaux de l’ONU, les mécanismes au niveau européen et le grand public.

Image des Amis de la Terre Brésil. La pancarte dit : « Sauver l’Amazonie et ses peuples, c’est sauver le climat de la planète ».