Rencontre avec les habitants de l’île de Pari qui se battent pour la justice climatique

Le dernier rapport scientifique du GIEC sur le climat a confirmé que le changement climatique d’origine humaine s’intensifient et que les régions vulnérables, qui sont situées principalement dans les pays du Sud, ressentent d’ores et déjà plus durement les effets de conditions météorologiques de plus en plus extrêmes. En Indonésie, les habitants de l’île de Pari subissent déjà les conséquences catastrophiques du changement climatique : en 2021, des inondations majeures ont endommagé leurs maisons, interrompu leurs activités de pêche et de tourisme et contaminé leur eau potable. L’avenir de l’île qu’ils habitent depuis des générations est menacé.
« Le niveau de la mer ne cesse de monter. Nous sommes très inquiets, car personne ne sait où nous pourrions aller si notre île était submergée. » (Bobby)
Avec l’élévation du niveau de la mer due au changement climatique, les inondations deviennent de plus en plus fréquentes et destructrices pour de nombreuses îles et régions côtières à faible élévation par rapport au niveau des eaux. L’île de Pari est en première ligne de cette crise : 11 % de sa surface a déjà disparu sous la mer et le reste pourrait être presque totalement submergé d’ici à 2050.
À l’instar de nombreuses communautés du Sud, les habitants de l’île de Pari ne sont pas responsables du changement climatique et ne disposent pas des ressources nécessaires pour s’adapter aux pertes et de dommages qu’ils subissent. Or 70 % de toutes les émissions industrielles historiques de CO2 sont imputables aux activités menées par seulement 108 entreprises à travers le monde. Aujourd’hui, la plupart de ces mêmes entreprises continuent à faire des bénéfices tout en ne faisant rien, ou beaucoup trop peu, pour changer et réduire leur impact sur le climat.
Quatre des 1 500 habitants de Pari ont décidé qu’ils ne pouvaient pas se contenter d’attendre que leur vie disparaisse sous les flots. Avec le soutien deWALHI (Les Amis de la Terre Indonésie), de l’Entraide protestante suisse (EPER) et du Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR), ils ont intenté une action en justice afin d’obtenir qu’un grand pollueur rende des comptes au regard du changement climatique : l’entreprise Holcim, géant suisse du ciment a produit plus de sept milliards de tonnes de ciment entre 1950 et 2020 et a généré presque autant d’émissions de CO2. Il porte une lourde responsabilité dans le changement climatique.
La plainte au tribunal contre Holcim s’inscrit dans un mouvement croissant de contentieux judiciaires en faveur de la justice climatique et sociale. Les tribunaux ont le potentiel de devenir des outils très puissants pour les peuples, en particulier dans les pays du Sud. Ils peuvent permettre non seulement d’obtenir des compensations pour les pertes et les dommages causés par les changements climatiques mais aussi des financements pour s’adapter à l’élévation du niveau de la mer et aux conditions météorologiques extrêmes. L’affaire de l’île Pari s’inscrit également dans la lignée du jugement climatique historique obtenu contre la société Shell aux Pays-Bas, qui a obligé à une entreprise de rendre des comptes par rapport à son rôle dans l’occurrence de dangereux changements climatiques, et qui l’a condamné à réduire drastiquement ses émissions dans le cadre de ses activités.
Les quatre plaignants indonésiens réclament la justice climatique au nom de tous les habitants de l’île et de toutes les personnes dans le monde qui, alors qu’elles n’ont pas contribué au changement climatique, sont pourtant les plus touchées par ses conséquences. Ils demandent à Holcim de :
- remédier proportionnellement aux dommages causés par les changements climatiques sur l’île de Pari ;
- réduire de 43 % ses émissions absolues de CO2 d’ici à 2030, par rapport aux émissions de 2019 ;
- contribuer aux mesures entreprises sur l’île de Pari pour s’adapter aux conséquences du changement climatique.
Pour en savoir plus sur ces contentieux climatiques emblématiques :
Affaire Urgenda : en 2015, un tribunal a ordonné à l’État néerlandais de mettre en œuvre des réductions d’émissions plus importantes.
Saúl Luciano Lliuya contre RWE : en 2015, un agriculteur péruvien a intenté une action en justice contre l’entreprise énergétique RWE en Allemagne.
Le Peuple contre Shell : en 2021, un tribunal néerlandais a ordonné à Shell, l’un des plus gros pollueurs au monde, de réduire ses émissions de 45 % d’ici 10 ans.
Les habitants de Pari s’élèvent contre l’impunité des entreprises
Arif, Asmania, Bobby et Edi vivent sur l’île de Pari et ressentent quotidiennement les conséquences et l’injustice de la disparition de leurs moyens de subsistance. Ils mènent depuis toujours une vie à faible émission de carbone, en harmonie et en interdépendance avec la mer et la terre, mais leur avenir sur l’île est désormais incertain.

Arif vit à « Star Beach » avec sa famille. Ils dépendent du tourisme, de la pêche et du travail dans son petit atelier de mécanique. Lors de l’inondation de 2021, leur maison a été gravement endommagée et ils ont réussi de justesse à sauver quelques équipements avant de s’enfuir. L ‘eau de leur puits (leur principale source d’eau potable) est devenu saumâtre, les touristes ont cessé de venir et tous les arbres fruitiers du jardin sont morts. Arif vit désormais dans la crainte de nouvelles inondations. Il sait que sa maison n’est pas sûre, mais il n’a pas les moyens de déménager.
« Je veux protéger ma terre. Je pense à l’avenir de mon fils, de ma famille. » – Arif

Asmania tient un petit magasin et une maison d’hôtes sur l’île. Avec son mari, elle a acheté une partie d’une ferme piscicole au large de la côte, qui leur permettait de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs trois enfants. Les inondations ont contaminé leur ferme piscicole et ont éloigné les touristes pendant des mois. Asmania sait que si elle veut continuer à vivre sur l’île, elle doit s’adapter : fondations surélevées pour les maisons, appareils de purification de l’eau et plantation de davantage de mangroves pour protéger la côte. Mais
les habitants de l’île n’ont pas les moyens financiers d’entreprendre ce genre de travaux. Le changement climatique menace leur avenir et celui de leur famille.
« Nous avons un besoin urgent d’un système de filtration de l’eau pour les périodes où la mer inonde nos puits d’eau potable et la rend saumâtre.” – Asmania

Bobby est né et a grandi sur l’île. En tant que pêcheur, il avait déjà constaté une forte diminution des prises de poissons au fil des ans. Aujourd’hui, il dirige l’association « Save Pari Island », un groupe de personnes qui discutent de ce qui se passe et défendent leurs droits.
« Pendant les quelques jours qui ont suivi les inondations, je n’ai pas pu aller à la pêche. J’ai également dû réparer mon bateau. Les vagues l’avaient échoué sur le rivage et fracassé contre un arbre. » – Bobby

Edi, qui vit sur l’île avec sa femme et leurs trois jeunes enfants, possède deux maisons d’hôtes et accueille des séjours pour touristes de Jakarta. Après les inondations, de nombreux clients ont annulé leur séjour et ses revenus en ont souffert. Edi pense qu’il faut aider les habitants de l’île à planter des mangroves pour protéger le littoral. Les gens le font déjà dans le cadre de travaux d’intérêt général, mais il en faudrait beaucoup plus pour que cela soit efficace contre l’élévation du niveau de la mer.
« Nous ne devons pas nous contenter de construire des digues en béton. Ce n’est pas bon pour l’environnement. Nous devrions planter davantage de mangroves. » – Edi
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