Mangroves plants growing in water

Les solutions à la crise climatique « basées sur la nature » ont été largement mise en avant lors de la COP 26. La présidence de la COP 2021 à fait de la question de la nature une de ses principales priorités. Des discours très remarqués prononcés par des personnalités telles que le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, ou encore l’écologiste réputé David Attenborough ont souligné l’énorme potentiel de la nature pour aider à lutter contre l’effondrement du climat. En effet, la première soi-disante promesse des dirigeants mondiaux à l’issue de la COP26 a été un engagement à mettre fin à la déforestation.

Il s’agit clairement d’une idée enivrante : après des décennies d’inaction, la nature pourrait nous sauver de la catastrophe climatique. Mais le concept de « solutions basées sur la nature » est un loup déguisé en agneau, qui risque de provoquer des violations massives des droits des communautés autochtones.

Qu’est-ce que le concept des « solutions basées sur la nature » ?

Il existe autant de définitions des solutions à la crise climatique « basées sur la nature » qu’il existe d’initiatives. L’Union internationale pour la conservation de la nature, une organisation qui milite pour la mise en œuvre de telles solutions, les définit comme étant « des actions visant à protéger, gérer durablement et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés qui répondent aux défis sociétaux de manière efficace et adaptative, en offrant simultanément des avantages en termes de bien-être humain et de biodiversité ».

Cette définition est si vague qu’elle pourrait tout aussi bien s’appliquer aux plantations d’arbres en monoculture – un désastre tant pour les personnes que la planète – qu’à l’indispensable restauration des tourbières. A noter que la plupart des initiatives basées sur la nature insistent sur l’importance de la contribution de la nature à la séquestration du carbone – en d’autres termes, la capacité de la nature à capturer et à stocker le carbone dans l’atmosphère. Selon l’association internationale The International Emission Trading Association, un groupe de pression actif sur les marchéscarbone, ces « solutions naturelles pour le climat » pourraient « apporter une contribution essentielle à la réalisation des objectifs de l’accord de Paris ». Ça a l’air génial, non ?

Le « Net-Zéro » est un fantasme.

La promesse des solutions basées sur la nature repose toutefois sur deux hypothèses profondément erronées.

La première est l’idée que les émissions carbone provenant des combustibles fossiles ou de l’agriculture industrielle peuvent, d’une manière ou d’une autre, être équilibrées ou supprimées de l’atmosphère afin d’empêcher un changement climatique catastrophique. Exemple : pour avoir 83 % de chances de maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, il ne faudra pas émettre plus 300 milliards de tonnes de CO2 supplémentaires, soit, à notre niveau actuel d’émissions l’équivalent de six ans de nos émissions. Atteindre rapidement le niveau zéro d’émissions – le Zéro véritable – est d’une grande importance. La responsabilité historique dans la génération d’émissions impose aux pays développés de procéder à des réductions plus importantes et ce sans attendre, conformément à leur obligation de partage équitable de la responsabilité.

Le problème est que ces gouvernements et ces entreprises se dérobent à leurs responsabilités en exploitant une faille dans l’accord de Paris, qui vise à atteindre « un équilibrage des émissions anthropiques en fonction des sources et via les absorptions par les puits carbone », c’est-à-dire un équilibrage entre la quantité de carbone que nous émettons et celle que nous pouvons stocker.

Destinée à l’origine à ne s’appliquer qu’aux émissions qui ne peuvent être entièrement éliminées – comme certaines émissions produites par l’agriculture -, cette proposition a depuis été déformée pour permettre aux gouvernements et aux entreprises d’augmenter encore leur production d’émissions au cours des prochaines décennies en misant sur la création de technologies miraculeuses capables « d’absorber » le carbone émis dans l’atmosphère.

C’est ce que l’on entend par « zéro émission nette », et c’est sur cette base que des milliers de pays, allant du Royaume-Uni au principal exportateur de pétrole, l’Arabie saoudite, ont pris leurs engagements.

En fin de compte, cette technologie n’est qu’un fantasme, les experts et les scientifiques ayant discrédité la majorité des technologies d’élimination du carbone. Ces solutions naturelles ne servent qu’à fournir aux gouvernements et aux entreprises une couverture médiatique pour leurs engagements inefficaces en faveur du « zéro carbone », qui, en fin de compte, ne contribueront guère à répondre à l’urgence de la crise.

La deuxième hypothèse de cette approche est que la nature peut stocker suffisamment d’émissions de carbone pour atteindre les objectifs nécessaires. Mais si les forêts et les écosystèmes stockent effectivement du carbone, ils sont partie intégrante d’un cycle naturel du carbone, fonctionnant sur une échelle de temps de quelques décennies. On est bien sûr très loin du carbone contenu dans les combustibles fossiles, qui a mis des millénaires à se former et à réchauffé le climat de la planète en à peine 200 de combustion industrielle.

Le concept des solutions basées sur la nature privilégie le profit par rapport aux personnes.

Compte tenu de la vacuité des solutions basées sur la nature, il n’est pas surprenant que de nombreuses entreprises, dont BP, Shell et Coca-Cola, en aient fait un pilier essentiel de leurs engagements climatiques. Face à cette vague de soutien par les entreprises, il devient douloureusement clair que le concept des solutions basées sur la nature n’est plus qu’un moyen de détourner l’attention de la nécessité de réduire drastiquement les émissions de combustibles fossiles, réductions qui sont nécessaires si nous voulons rester en dessous des 1,5°C d’augmentation de la température moyenne.

Au-delà de leur inefficacité dans la lutte contre l’emballement des émissions, l’une des conséquences les plus inquiétantes et les plus injustes des solutions basées sur la nature est le risque qu’il déclenche une vague massive d’accaparement des terres dans le Sud, les entreprises comme les gouvernement nationaux se précipitant pour planter des arbres et revendiquer la propriété des terres, des sols et des écosystèmes afin de les utiliser comme compensation des émissions de carbone.

L’entreprise ENI, l’une des sept grandes compagnies pétrolières du monde et grand partisan des solutions basées sur la nature, s’est lancée dans un énorme projet d’exploitation d’un champ gazier au Mozambique. L’entreprise est régulièrement confontée à des accusations de violence, de harcèlement et de déplacement des communautés de pêcheurs locales. ENI affirme qu’elle va planter des millions d’hectares de forêt à travers l’Afrique pour compenser ses émissions. Mais pour les communautés locales, cela équivaut à un double accaparement des terres – une première fois pour l’extraction et une autre fois pour réaliser un projet environnemental au résultat douteux.

Ce type de conflit met en évidence ce que sont réellement ces prétendues solutions : ouvrir de nouvelles opportunités pour renforcer encore le contrôle et le profit des entreprises. En effet, selon l’influent rapport UN Principles for Responsible Investment (Principes pour des investissements responsables, PRI – lien en anglais), « Le potentiel total de la valeur marchande [des solutions basées sur la nature] est estimé à 7,7 trillions de dollars US … Cela ouvre d’énormes nouvelles opportunités pour les développeurs de projets et les investisseurs » – et vous pouvez parier qu’ils n’ont aucune intention de passer à côté de ces opportunités d’enrichissement.

Nous avons besoin de solutions concrètes.

Alors que les partisans des solutions basées sur la nature affirment qu’elles « peuvent réaliser 37% de la compensation rentable du CO2 nécessaire jusqu’en 2030 », le rapport scientifique d’où est tiré ce chiffre est basé sur des hypothèses coloniales assez troublantes. Par exemple, près de la moitié du potentiel de compensation revendiqué provient de la plantation d’arbres sur près de 800 millions d’hectares de terres – une superficie équivalente à celle du continent Australien – sans jamais mentionner la question des violations des droits humains qui risquent de se produire si ces terres sont accaparées et volées aux communautés locales.

Le fait est que nous n’avons pas besoin de solutions basées sur la nature. Nous avons besoin de changements structurels pour mettre fin à la destruction de la nature – comme par exemple de mettre fin à l’extraction. Il est également vital, comme le font valoir depuis toujours les communautés autochtones, que nous valorisions la nature en tant que telle, plutôt que de la considérer comme un moyen de parvenir à une fin – c’est la logique même qui sous-tend la crise climatique.

Au lieu de proposer des réponses fantaisistes à la crise climatique lors de la COP26 et dans les autres forums, les pays développés – qui sont ceux ayant la plus grande partie des dommages à la planète – doivent réduire de manière importante et immédiate leurs émissions de CO2 ainsi que leurs activités polluantes. Ils doivent également s’engager à verser des milliers de milliards pour financer la lutte contre le changement climatique, en réparation des pertes et dommages subis par les pays du Sud. Mais au-delà de ces mesures vitales pour faire face à la crise, il est essentiel non seulement de mettre en avant les perspectives et les savoirs des peuples autochtones, mais aussi de protéger et de garantir leurs droits, tandis qu’ils continuent à protéger le monde naturel.

Kirtana Chandrasekaran est la coordinatrice du programme international pour la souveraineté alimentaire aux Amis de la Terre International. 

Les Amis de la Terre International rejettent l’idée que les « solutions basées sur la nature » font référence à des solutions. Pour cette raison, nous faisons référence au « concept de solutions basées sur la nature » au singulier, et non au pluriel, comme cela a été fait dans notre rapport. Cet article a été initialement publié par Novara Media en novembre 2021, et conserve la formulation originale de cette publication.

Image: Willy Kurniawan/REUTERS.