Parvenir à une transition juste : comment pouvons-nous développer les énergies renouvelables de manière équitable ?

Alors que la demande pour des énergies décarbonées ne cesse d’augmenter, nous nous interrogeons sur le pourquoi et le comment d’un développement équitable des énergies renouvelables. L’abandon indispensable des combustibles fossiles ne doit pas être une « simple transition », mais bien un véritable changement de système, qui place les personnes et la justice au premier plan : une véritable « transition juste ».
L’urgence d’une transition juste
Les méga feux de forêt qui ravagent actuellement le Canada dévastent la faune et la flore et étouffent les villes d’Amérique du Nord dans le smog. Ces incendies nous rappellent une fois de plus que le changement climatique est déjà là, qu’il touche tout le monde et que nous devons agir sans tarder.
Plus tôt cette année, les scientifiques du climat ont confirmé la nécessité urgente d’abandonner les systèmes énergétiques générateurs de pollution. Cela signifie qu’il faut mettre un terme à l’exploitation du pétrole, du gaz et du charbon, réduire à la source les émissions dues aux combustibles fossiles et accélérer la transition vers des solutions durables et renouvelables.
Mais pour ne laisser personne de côté, la transition doit être axée sur les principes de justice et d’équité. Les pays développés qui sont à l’origine de la crise climatique doivent être les premiers à agir afin d’y remédier et doivent fournir les moyens financiers et technologiques permettant aux pays moins développés de renoncer aux combustibles fossiles..
Un rapport de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables datant de 2021 a souligné que les nouvelles installations génératrices d’énergie renouvelable (éolienne et solaire) sont désormais moins chères que leurs équivalents à base de charbon. Cependant, le fait qu’elles soient plus abordables ne signifie pas qu’elles soient plus accessibles pour autant : 775 millions de personnes à travers le monde n’ont toujours pas accès à l’électricité.
Certaines communautés ouvrent d’ores et déjà la voie à des projets décentralisés de production d’énergie renouvelable. – depuis des groupes de femmes en Palestine, à des villages au Bangladesh et des communautés autochtones aux Philippines. Mais l’ampleur et la rapidité de la crise climatique en cours signifient que la transition vers les énergies renouvelables doit également se faire à grande échelle. Or, cela soulève d’énormes défis.
Dans notre dernier rapport Énergies renouvelables et utilisation des terres, nous explorons les obstacles à l’extension des projets d’énergie renouvelable dans les pays du Sud global, en nous appuyant sur des cas concrets. Les témoignages des personnes affectées par les méga projets solaires en Inde ou par l’exploitation des mines de lithium en Argentine soulèvent la question de savoir à qui profite la transition énergétique et de comment éviter le risque de reproduire un système énergétique extractiviste et néocolonial par le biais de la transition vers les énergies renouvelables.
Projet « Mega Solar » en Inde
En Inde, si le projet Rewa Ultra Mega Solar a permis d’accroître considérablement la capacité de production énergétique du pays, il a en revanche plongé les communautés locales dans le désarroi :
« Le projet ne nous a fourni aucune énergie, et n’a pas créé d’emplois pour nous. Les personnes sont forcées d’émigrer en quête de travail. La situation est alarmante ici. »
Mis en service à partir de 2020, le projet Rewa consiste en d’immenses installations de panneaux solaires, certaines d’entre elles entourant entièrement des villages. Les communautés locales ont ainsi été coupées de leurs terres, ce qui a perturbé leur vie et impacté leurs moyens de subsistance. Elles n’ont pas non plus profité des avantages liés à l’emploi ou à l’accès à l’énergie, comme l’avaient promis les promoteurs du projet :
« Le gouvernement et les constructeurs du parc solaire ont négligé les modes d’utilisation de ces terres ainsi que la connexion et la dépendance des communautés vis-àvis de la terre au moment de les acquérir. »


Pour qu’une transition équitable puisse se faire, les communautés locales doivent être impliquées dès le départ dans la planification, la mise en œuvre et la propriété des projets solaires, afin qu’elles puissent également bénéficier des avantages économiques de la transition vers les énergies renouvelables.
Extraction du lithium en Argentine
L’Argentine fait partie du « triangle du lithium », une région d’Amérique du Sud qui détient 68% des réserves mondiales de lithium. Ce métal de plus en plus recherché est une composante essentielle des alternatives aux combustibles fossiles, utilisé dans les batteries des véhicules électriques et les systèmes de stockage de l’énergie.
Actuellement, la plupart des réserves de lithium de l’Argentine quittent le pays sous forme de matières premières pour aller approvisionner les pays du Nord, comme les États-Unis et l’Europe, dans le cadre de leurs programmes de transition énergétique. Ceci est une nouvelle forme néocolonialiste d’extraction d’énergie, qui ne laisse que peu ou pas d’avantages aux communautés vivant en première ligne :
« Le lithium part à l’étranger, nous n’avons donc pas de lithium ici. »

Dans la province de Catamarca, le projet de mine de lithium Tres Quebradas (3Q) a entraîné une pénurie d’eau, la mort d’animaux sauvages, des pertes de revenus, des conflits communautaires et, ironiquement, un approvisionnement énergétique aléatoire. Les nouveaux emplois offerts aux villageois des environs sont en contradiction avec les activités traditionnelles de la région, à savoir l’agriculture et le tourisme, lesquelles sont également affectées par les nouvelles infrastructures :
« Ils détruisent le paysage. Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les lieux où ils iront, les lieux où ils seront seuls à aller, où personne ne pourra voir ce qu’ils font. »

À l’heure actuelle, à Catamarca, les populations locales doivent rivaliser avec les sociétés transnationales pour accéder aux terres et à l’eau dont elles dépendent depuis des générations. Elles n’ont reçu aucune compensation. Pour que l’extraction des ressources ne nuise pas aux communautés locales, il est nécessaire de mettre en place de strictes réglementations environnementales locales, issues d’un processus décisionnel participatif avec les communautés et d’un respect partagé de leurs droits.
Défendre les droits des peuples dans la transition juste
Au final, les systèmes d’énergie renouvelable ne doivent pas être construits sur un système qui reproduit les inégalités et pille les ressources des communautés vulnérables, au profit des nations et des entreprises riches.
Une transition énergétique fondée sur la justice est une transition qui respecte les droits humains et inclut les communautés sur la base d’un consentement préalable, libre et éclairé ainsi que sur la base de principes démocratiques inclusifs et participatifs. C’est une transition qui place les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des travailleurs et des femmes au premier plan.
Pour relever les défis de la crise climatique grâce au déploiement des énergies renouvelables tout en répondant aux problèmes d’accès à l’énergie dans les pays du Sud, les droits des peuples ne doivent pas être sacrifiés au nom de « l’intérêt collectif supérieur » et les erreurs du système énergétique actuel reposant sur les combustibles fossiles et l’extraction ne doivent pas être reproduites. – Rapport Énergies renouvelables et utilisation des terres