Changer le système ou risquer l’effondrement écologique mondial, dit l’évaluation de la biodiversité mondiale

Paris, le 6 mai 2019. À moins de prendre des mesures radicales pour changer les systèmes économique et social, le monde sera confronté à l’effondrement écologique et à des extinctions massives, d’après une évaluation mondiale présentée aujourd’hui par la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).
Le rapport de l’IPBES contient l’évaluation scientifique mondiale de la biodiversité et des services des écosystèmes la plus complète proposée à l’adoption des gouvernements ; il révèle quels sont les facteurs déterminants de l’effondrement de la biodiversité mondiale et appelle à effectuer d’urgence un changement des réglementations.
Le moment est venu de ne plus considérer séparément les différentes crises, qu’elles concernent le climat ou la biodiversité [1] ; au contraire, d’après les Amis de la Terre International, il faut s’y attaquer en bloc au moyen d’un changement complet de système.
Le rapport est catégorique : la nature est dans un état désastreux [2], et ce sont « les actions de l’homme » qui ont altéré considérablement la nature sur la plupart de la planète. Le rapport dit,
« Les espèces en péril d’extinction à cause des actions humaines sont plus nombreuses aujourd’hui que jamais auparavant. À moins de prendre des mesures pour freiner la perte de biodiversité, plus d’un million d’espèces sont condamnées à disparaître, dont beaucoup au cours des prochaines décennies. »
Le rapport donne des arguments irréfutables sur le besoin d’un « changement transformateur », qui implique de changer les structures économiques, financières et sociales du monde. Il montre du doigt, à juste titre, les principaux responsables : l’agriculture et la pêche industrielles, les infrastructures, les mines, l’extraction pour la production d’énergie, l’exploitation forestière, les plantations et la bioénergie à grande échelle, ainsi que la croissance sans limite et la surconsommation. Une minorité en bénéficie, tandis que la majorité en subit les conséquences : la pauvreté, les conflits et l’accélération de l’effondrement écologique. Malheureusement, malgré ses points forts le rapport ne va pas suffisamment loin.
D’après Nele Marien, coordinatrice du programme Forêts et biodiversité des Amis de la Terre International,
« Ce rapport tombe à point nommé pour nous rappeler les crises environnementales et sociales auxquelles nous sommes confrontés. Nous pouvons construire un monde meilleur et éviter l’effondrement de la biodiversité mais, pour ce faire, il faut rien moins qu’un changement radical de système qui laisse tomber le modèle économique capitaliste basé sur la croissance extractive illimitée, sur les bénéfices économiques et sur l’inégalité. Nous devons démolir tous les systèmes d’exploitation : le colonialisme et le néocolonialisme, le patriarcat et le racisme. »
Kirtana Chandrasekaran, coordinatrice du programme Souveraineté alimentaire des Amis de la Terre International, dit :
« Le rapport est catégorique dans sa description des facteurs déterminants de l’effondrement de la biodiversité mais, pour s’attaquer à ces facteurs, il faut nommer et confronter les acteurs et les structures de pouvoir qui sont derrière, et surtout le pouvoir immense des grandes entreprises. Il existe des preuves accablantes du rôle central qu’elles jouent dans la destruction de l’environnement, des droits des peuples et de la démocratie. L’agriculture à grande échelle est considérée, à juste titre, comme un des principaux coupables. Le rapport devrait assener le coup de grâce au système alimentaire agro-industriel. C’est un risque dont nous n’avons pas besoin : il ne nous nourrit pas, il détruit le monde et il cause d’énormes conflits sociaux. »
Le rapport reconnaît l’importance de l’agroécologie pour la transformation des systèmes alimentaires, mais là encore il ne considère pas tous les aspects : il ne mentionne pas que l’agroécologie exige une transformation sociale, écologique, économique et culturelle pour se débarrasser du contrôle de l’agro-industrie en mettant le pouvoir entre les mains des paysans et des petits producteurs d’aliments qui nourrissent entre 70 et 80 % de la population mondiale. Cela implique de rejeter les fausses solutions proposées par l’agro-industrie, telles que l’intensification durable qui inclut des cultures génétiquement modifiées et les pesticides dont elles s’accompagnent.
Le rapport reconnaît que les peuples autochtones et les populations locales jouent un rôle central dans la défense des écosystèmes et la protection de la biodiversité, souvent en dépit des conflits concernant leurs terres et de la confrontation avec l’énorme pouvoir des transnationales. Il confirme que la conservation assurée par les populations locales et les peuples indigènes s’est avérée plus efficace que les zones protégées officiellement établies, pour ce qui est d’éviter le déboisement et la perte d’habitats.
Le rapport confirme aussi que plus de 2 500 conflits sur les combustibles fossiles, l’eau, la nourriture et la terre sont en cours sur toute la planète et qu’au moins un milliard d’activistes de l’environnement et de journalistes ont été tués entre 2002 et 2013.
« Nous avons besoin urgent de protéger les droits collectifs des peuples autochtones et des communautés locales, dont le droit à l’accès et au contrôle de leurs biens communs et leurs moyens d’existence. Nous devons également apprendre de leurs modes de vie et de leurs systèmes de connaissance traditionnels »
dit Rita Uwaka, coordinatrice du programme Forêts et biodiversité d’Afrique, basée au Nigeria.
Karin Nansen, présidente des Amis de la Terre International, résume :
« Nous faisons bon accueil à ce rapport, le premier en son genre à souligner les problèmes structurels, à examiner et à inclure de façon systématique les connaissances, les problèmes et les priorités des peuples autochtones et locaux, et à demander un changement transformateur. L’effondrement écologique ne peut être évité que par un changement de système. Le seul moyen d’y parvenir est de donner le pouvoir aux peuples dans tous les domaines, dont l’agroécologie, la pêche artisanale et l’énergie communautaire. En particulier, les peuples autochtones et les communautés locales doivent pouvoir gérer leurs territoires avec autonomie et pouvoir interdire la mise en oeuvre de projets de développement. Leurs droits et leur intégrité physique doivent être préservés à tout moment. »
Les Amis de la Terre International défendront activement ces idées au cours du processus pour l’après-2020, où seront déterminées par la Convention sur la biodiversité biologique, par la CCNUCC et par le Comité de la sécurité mondiale de l’ONU les politiques en matière de biodiversité pour la prochaine décennie.
Contacts avec la presse :
Karin Nansen, présidente des Amis de la Terre International, Uruguay
Kirtana Chandrasekaran, coordinatrice du Programme international pour la souveraineté alimentaire, Amis de la Terre International
Nele Marien, coordinatrice du Programme international pour les forêts et la biodiversité, Amis de la Terre International
Rita Uwaka, coordinatrice du programme Forêts et biodiversité d’Afrique, Nigeria
Friedrich Wulf, biodiversité internationale, Les Amis de la Terre Europe
Information générale : Amelia Collins, press[at]foei.org
Notes aux rédacteurs :
[1] Références aux crises du climat et de la biodiversité dans les médias au cours des six derniers mois :
1) www.theguardian.com/environment/2018/nov/03/stop-biodiversity-loss-or-we-could-face-our-own-extinction-warns-un
2) www.huffpost.com/entry/nature-destruction-climate-change-world-biodiversity_n_5c49e78ce4b06ba6d3bb2d44
3) news.ku.dk/all_news/2012/2012.1/biodiversity/
[2] Sur l’état de la nature, le rapport mentionne aussi les faits suivants :
« 75 % du milieu terrestre ont été gravement perturbés, 66 % du milieu marin subissent de plus en plus d’impacts accumulatifs, et plus de 85 % de [la surface des] zones humides ont disparu.
« La biomasse mondiale des mammifères sauvages a diminué de 82 % »
« Environ 25 % des espèces de la plupart des groupes d’animaux et de végétaux évalués sont déjà en péril d’extinction. »
« L’étendue et la condition des écosystèmes naturels ont diminué de 47 % en moyenne. »