Le modèle militaire qui détruit l’Amazonie au Brésil

« Une terre brûlée, c’est presque comme un terrain vacant, qui n’a plus rien. C’est comme ça qu’arrive la spéculation. Parce qu’une terre avec des forêts peut devenir une zone protégée, mais brûlée, elle devient vierge, prête pour l’arrivée de nouvelles personnes. »
Telle est l’explication donnée par l’agriculteur Sávio Freitas Araújo, élève à l’école agricole Casa Familiar Rural de Santarém dans l’État du Pará, concernant les incendies en Amazonie, pour une vidéo faisant partie de l’enquête journalistique que vient de présenter Les Amis de la Terre Brésil. Son nom est « Que se passe-t-il vraiment en Amazonie ? ».
La jungle brésilienne est militarisée. Et les institutions gouvernementales censées veiller à sa préservation suivent la même voie. Dans quel but ? Dégager le terrain pour l’arrivée de capitaux des géants de l’industrie agroalimentaire, des centrales hydroélectriques, de l’industrie du bois et de l’industrie minière, par les moyens les plus sournois. Les communautés noires, paysannes, autochtones, quilombolas (personnes de descendance africaine), sont expulsées au passage et paient régulièrement de leur vie leur résistance.
L’Amazonie brésilienne a stupéfié le monde entier en 2019. En effet, entre janvier et août de cette année, le poumon vert de la planète a connu une augmentation de 34 % des feux de forêt, de 55 % de la déforestation et de 11 % des pluies par rapport à la même période au cours des trois années précédentes. Telle est l’ampleur des ravages de l’industrie agroalimentaire.
La militarisation de l’Amazonie n’a rien d’étonnant dans un gouvernement militariste comme celui de Jair Bolsonaro, jamais avare en manifestations de son soutien au pouvoir du capital, de haine de classe, de racisme et de misogynie. Cela entre dans la logique d’un modèle de développement qui élimine les formes de vie traditionnelles et impose une idéologie capitaliste.
« Le seul rôle que devraient jouer les forces armées serait d’aider les institutions censées protéger l’Amazonie. De fournir un appui tactique, opérationnel et logistique aux agents d’inspection. Et toujours sous la direction des équipes techniques »,
indique Fernando Campos, des Amis de la Terre Brésil.
Or l’organisation de justice environnementale alerte sur le fait qu’actuellement, les commandements militaires des régions du Nord et de l’Amazonie au Brésil refusent de fournir ce type d’aide. De plus, elle ajoute qu’en avril, le gouvernement a remercié plusieurs des fonctionnaires travaillant depuis un certain temps sur les questions de contrôle environnemental au sein de l’Institut brésilien pour l’environnement et les ressources naturelles renouvelables (IBAMA). Ces licenciements ont eu lieu suite à une intervention de cet organisme visant à combattre l’extraction minière illégale et prévenir la propagation du coronavirus. Pour les remplacer, l’administration Bolsonaro a nommé des ex-membres de la « Rota », la violente troupe d’élite de la police militaire de l’État de São Paulo.
Avec le soutien de l’organe militaire, les différents capitaux n’ont aucune limite. Le cas de l’industrie agroalimentaire est paradigmatique.
« Près de Santarém, les champs de soja s’étendent à perte de vue. Les cultures encerclent les écoles, et les produits agricoles toxiques sont appliqués sans le moindre respect des horaires de classe »,
apprend-on dans le reportage des Amis de la Terre Brésil.
« Les personnes finissent par vendre leurs terres, car il n’y a pas de travail, et elles partent chercher de meilleures opportunités dans les villes. On a eu beaucoup de cas ici »,
explique l’agricultrice Dorilene Pereira de Lima.
Les organisations et les mouvements sociaux brésiliens dénoncent depuis plusieurs décennies les cas de « grilagem » des terres dans plusieurs régions du Brésil. Ce terme désigne une ancienne pratique capitaliste (et toujours d’actualité) consistant à vieillir et abimer de faux documents (à l’aide de grillons qui grignotent le papier, grilo en portugais) pour les présenter comme de vieux titres de propriété et prendre possession de certaines terres. Selon les récents travaux des Amis de la Terre Brésil, la « grilagem » est également une des pratiques favorites de l’industrie agroalimentaire en Amazonie pour s’accaparer davantage de terres.
Dans les faits, cela se traduit par des familles d’agriculteurs et d’agricultrices poursuivies en justice, et expulsées des terres où elles vivent depuis plusieurs générations. L’État, manquant cruellement d’efficacité lorsqu’il s’agit de régulariser les droits fonciers des familles sur les terres où elles vivent, n’est en revanche pas en reste au moment de les expulser. De plus, dans de nombreux cas, l’État peut compter sur « l’aide » de groupes armés, payés par les entreprises privées, qui attaquent et expulsent les personnes installées sur les terres convoitées.
« De mon point de vue, l’État, ou parfois l’absence de l’État, est le principal responsable des conflits actuels dans les régions rurales. Car lorsque l’État ne répercute pas les politiques publiques à la campagne, il laisse les familles rurales en situation de vulnérabilité. Et sans collège, électricité, eau courante, ni routes praticables, les familles qui élèvent des enfants doivent abandonner leurs terres pour aller s’installer en ville »,
estime João Gomes da Costa, vice-président du syndicat des travailleurs ruraux d’Alenquer (État du Pará).
En mai 2019, la Plateforme intergouvernementale science-politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES en anglais), qui apporte son expertise à la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies, a signalé que le rôle des peuples autochtones et des populations locales est crucial pour la protection des écosystèmes et de la biodiversité, pour affronter la menace actuelle d’un effondrement écologique mondial et l’extinction massive de nombreuses espèces.
« Nous continuerons à travailler avec les groupes des Amis de la Terre du monde entier, nous appelons à la solidarité internationaliste, et au renforcement de nos actions au niveau local ainsi que de nos alliances avec les mouvements paysans, autochtones, féministes et syndicaux qui ont un projet politique similaire au nôtre. La véritable défense de l’Amazonie nécessite un changement radical de système qui permettra de placer la vie au cœur des préoccupations économiques et politiques. Ce changement de système passera par la lutte des classes et la construction du pouvoir populaire, ce dans le but d’atteindre la souveraineté et l’autodétermination des peuples »,
conclut Lucia Ortiz, des Amis de la Terre Brésil.
Photos de Carol Ferraz, des Amis de la Terre Brésil.