Interconnecter les alternatives : construire l’agroécologie paysanne au Togo

Le Togo est l’un des plus petits pays d’Afrique, peuplé de 8.6 millions de personnes. Avec les chocs causés par la pandémie de Covid-19, les conditions climatiques de plus en plus extrêmes et les récentes hausses des prix alimentaires, l’état de la sécurité alimentaire au Togo s’est fortement dégradé. En 2022, 1 personne sur 5 dans le pays n’a pas accès à une alimentation saine et nutritive ou n’a pas les moyens de se la payer. Pourtant, l’économie du Togo dépend fortement de l’agriculture commerciale et de subsistance, qui emploie 60 % de la population active.
Les Amis de la Terre Togo travaillent avec les communautés locales, les paysans et les décideurs pour étendre la pratique de l’agroécologie dans cette nation d’Afrique de l’Ouest, afin de parvenir à la souveraineté alimentaire de sa population. En août 2022, nous avons parlé avec Ekue Assem pour en savoir plus.
L’agroécologie comme instrument de résilience pour le Togo
En juin 2022, les Amis de la Terre Togo ont lancé le projet « Renforcement des capacités pour consolider la souveraineté alimentaire au Togo – Se connecter au mouvement en Afrique ». L’objectif est d’atteindre, d’ici 2025, tant sur le plan politique que pratique, l’objectif de souveraineté alimentaire du pays, par le biais de l’agroécologie.
La promotion de la souveraineté alimentaire et de l’agroécologie est une préoccupation des Amis de la Terre Togo depuis longtemps.
« La terre est en train de se dégrader et c’est elle qui entretient la vie en Afrique et particulièrement au Togo. Si la terre n’est pas bien gérée, de nombreuses familles seront touchées et verront leur existence menacée », explique Ekue.
Le nouveau projet de l’organisation vise à renforcer les capacités des réseaux locaux et régionaux de la société civile, des organisations d’agriculteurs et de paysans ainsi qu’à soutenir la mise en réseau des leaders locaux de l’agroécologie, afin d’amplifier l’impact des pratiques agroécologiques dans les zones rurales. Pour les Amis de la Terre Togo, l’agroécologie est un instrument de résilience pour l’ensemble du pays. Elle permettra de préserver le patrimoine naturel et alimentaire du Togo, de redynamiser l’économie locale et de permettre aux populations d’être autosuffisantes sur le plan alimentaire.
« Au Togo, la pratique de la souveraineté alimentaire a permis aux communautés de subvenir à leurs besoins et à ceux des autres pendant la pandémie du COVID-19. Les familles consomment des produits issus de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et vendent leurs produits pour gagner de l’argent afin de subvenir à leurs besoins de base » souligne notre vidéo réalisée en mars 2021.
Le nouveau projet rassemblera des représentants politiques, des agriculteurs et des organisations de la société civile. Il veillera à ce que les femmes soient intégrées dans le processus de définition d’une stratégie agricole nationale qui privilégie la souveraineté alimentaire et l’agroécologie.
Conservation de la biodiversité et production alimentaire familiale
En 2008, les Amis de la Terre Togo ont lancé un projet de formation des agriculteurs ainsi que d’organisation de réunions d’échanges entre consommateurs et agriculteurs. L’objectif était de promouvoir l’agriculture familiale en utilisant les connaissances locales et les pratiques traditionnelles.
« Nous avons remarqué que de nombreuses semences traditionnelles disparaissaient, (…) nous avons donc voulu mener une action pour la conservation de la biodiversité », explique Ekue.
L’organisation a formé des agriculteurs de dix villages dans la chaîne de montagnes de l’Atakora, qui s’étend du Sud au Nord du pays, neuf communautés du canton de Fiokpo, dans le Sud-ouest, et huit villages proches du Parc national de Togodo Sud, situé au Sud-est et à moins de 100 kilomètres de la capitale Lomé. Le projet a soutenu les femmes dans la mise en œuvre de projets d’agroécologie, en promouvant l’égalité des droits entre les genres et en défendant les droits des femmes à la terre.
« Les femmes sont spécialement formées car elles sont les gardiennes des semences. L’expérience a montré qu’elles sont les meilleures gestionnaires des banques de semences », souligne Ekue. « Ce dont les femmes avaient besoin, c’était de partager des informations et de renforcer leurs capacités sur la disponibilité et les techniques traditionnelles de conservation et de germination des semences ».
Les Amis de la Terre Togo promeuvent également la gestion durable des terres par la recherche scientifique. Dans le cadre du travail effectué en 2008, une étude a été menée sur 49 villages, recensant les ressources naturelles qui existent dans les montagnes de l’Atakora. Les résultats de cette étude ont été utilisés pour former les résidents locaux à l’agriculture et à la pêche durable, ainsi qu’à l’importance du développement des économies régionales.
Ekue ajoute que l’agroforesterie a été promue pour « redonner vie aux terres dégradées ». Quant à l’accent mis sur la pêche durable, il s’agit de « favoriser le renouvellement des espèces de poissons par de bonnes pratiques de pêche et de respecter la période d’interdiction annuelle de pêche, afin de préserver l’écosystème aquatique ».
Dans le cadre de la promotion de l’agroforesterie et de la pêche durable, ils ont lancé en novembre 2020 une nouvelle publication intitulée « Bonnes pratiques d’agroécologie, de pêche et de gestion communautaire des forêts ». Ils ont également travaillé avec les organisations agricoles et le gouvernement pour encourager l’adoption de politiques économiques spécifiques.
Mobilisation, plaidoyer politique et échange entre agriculteurs
Le 12 novembre 2021 à Lomé, les Amis de la Terre Togo, en collaboration avec la Convergence Globale des Luttes pour la Terre et l’Eau – Ouest Africaine, ont lancé la troisième édition de la Caravane ouest-africaine pour le droit à la terre, à l’eau et à l’agroécologie paysanne.
La Caravane a commencé son voyage en Gambie et est passée par le Sénégal, la Guinée Bissau, la Guinée Conakry et le Sierra Leone. Là, le président de la Sierra Leone, Julius Maada Bio, a reçu le « livre vert » intitulé « Droits à la Terre et à l’Eau, Une Lutte Commune » qui guide le travail de plaidoyer de la Convergence.

« L’objectif de la caravane ouest-africaine était de rappeler une fois de plus aux dirigeants ouest-africains la nécessité d’inclure l’agroécologie dans les politiques agricoles et de renforcer la lutte contre l’accaparement des terres car cette pratique dépossède les communautés, les familles qui ont le plus besoin de ces terres pour la production agricole », a déclaré Ekue. « Il s’agit également d’insister sur le respect du droit à la terre des femmes, qui sont les gardiennes des semences ».
La Caravane a également partagé une Note de position contre les crédits de compensation carbone et les marchés du carbone, qui représentent « de fausses solutions dans la lutte contre les effets du changement climatique », a déclaré Ekue, se faisant l’écho de l’avis de nombreux mouvements sociaux et organisations dans le monde qui luttent pour la justice climatique.
Entre-temps, les 12 et 13 novembre 2021, des membres des Amis de la Terre Togo, de la Convergence globale des luttes pour la terre et l’eau et des représentants des communautés Andokpomé et Donomadé (toutes deux situées dans le Sud, à moins de 100 kilomètres de Lomé) ont visité le Centre de développement agroécologique et rural de Kumah-Konda, dans le Sud-Ouest du pays.
La visite faisait partie d’un processus d’échange d’expériences entre les structures et les communautés avec lesquelles les Amis de la Terre Togo collaborent dans leur travail autour de l’agroécologie. Les visiteurs, qui utilisent déjà des techniques agroécologiques comme la rotation des cultures et le paillage (couverture de la terre avec des restes de plantes, entre autres), ont appris de nouvelles techniques comme la production de pesticides naturels et d’engrais organiques comme le « bokachi ». Le « bokachi » est fabriqué à partir de matières telles que la bouse de vache, du son de riz et d’eau, auxquels on ajoute du sucre et de la levure. Ils ont également appris comment promouvoir la production locale et les chaînes d’approvisionnement courtes.
Renforcer la résilience des communautés par la souveraineté alimentaire
Le type de connaissances et d’expérience que les communautés ont acquis grâce aux échanges et aux processus de formation facilités par les Amis de la Terre Togo ont été cruciaux pendant la pandémie de Covid-19. Elles ont retrouvé leur indépendance et leur souveraineté en matière de production alimentaire, et ont développé de nouvelles compétences et pratiques agroécologiques pour produire des aliments de manière saine.
La communauté de Donomadé, par exemple, a mis en place des cuisines communautaires pour nourrir les gens pendant les confinements.
« Dans la cuisine solidaire d’aujourd’hui, nous transmettons aux autres que nous avons préparé nos propres cultures et qu’elles sont exemptes de maladies. Par exemple, aujourd’hui, nous avons préparé notre propre poisson et notre maïs. Nous sommes réunis aujourd’hui pour partager un repas avec ceux qui n’en ont pas les moyens. À cause du virus, nous ne pouvons pas parcourir de grandes distances pour trouver notre alimentation » a expliqué Akouvi Manekpo, trésorier du comité de développement de Donomadé.
Les Amis de la Terre Togo continuent de travailler avec des communautés comme Donomadé, en leur apportant soutien et conseils et en facilitant le contact avec les experts techniques qui vivent à proximité. L’objectif est d’étendre la mise en œuvre de l’agroécologie dans le pays, afin que les gens, en particulier dans les zones rurales, puissent accéder à leur propre nourriture saine et nutritive, et maintenir leur résilience face aux chocs mondiaux.
Écouter l’interview en anglais ou en espagnol sur notre chaîne Real World Radio.
Image principale : Personnes défilant dans la Caravane ouest-africaine pour le droit à la terre, à l’eau et à l’agroécologie paysanne. © Friends of the Earth Togo.