Woman-displays-produce-in-market-in-Ghana

« Les petits agriculteurs, les mouvements sociaux et les droits humains sont les grands oubliés des discussions de ce sommet » dit Kirtana Chandrasekaran.

Les agences des Nations Unies avertissent que 270 millions de personnes supplémentaires – quatre fois plus que la population britannique – sont sur le point de sombrer dans la famine à cause de la pandémie de Covid-19. Cependant, on peut dire que la pandémie est juste un signe qui révèle les faiblesses et l’injustice du système alimentaire industrialisé mondial.

La pandémie a fait que les employés des secteurs agricole et alimentaire qui travaillent dans les plantations, les fermes de toutes tailles, les vergers, les serres et les centres d’emballage du monde entier ont perdu leur travail et ont été gravement exposés au virus. Les confinements ont poussé les pêcheurs de tout le littoral africain à arrêter leurs activités et être privés de leurs revenus du jour au lendemain alors que les usines des multinationales restaient actives. Les agriculteurs de la Confédération des organisations de producteurs familiaux du Mercosur élargi (COPROFAM) rapportent « une augmentation des cas d’expropriation des terres et des ressources en eau et une hausse du nombre d’assassinats de dirigeants sociaux ».

La pandémie est véritablement le reflet de notre système alimentaire. Elle nous a clairement montré que ceux qui nourrissent le monde sont les plus vulnérables et les moins aptes à se nourrir puisque les gouvernements et les institutions font passer le libre-échange et les profits des entreprises avant le droit humain à l’alimentation.

La façon dont nous gérons nos systèmes alimentaires façonne les injustices actuelles et la manière de les résoudre. La question la plus importante est donc la suivante : qui pilote l’ensemble des décisions et pour quels intérêts ? Là réside toute la différence entre ceux qui peuvent subvenir à leurs besoins fondamentaux et ceux qui ne le peuvent pas et, en fin de compte, entre ceux qui vont vivre et les autres.

Ce débat est devenu prioritaire au Sommet sur les systèmes alimentaires organisé par le Secrétaire général des Nations unies (UNFSS) et qui se tiendra à New York dans le courant de l’année. Il fait désormais l’objet de l’ensemble des initiatives prises « pour renouveler l’engagement mondial des plus grandes instances politiques afin d’éliminer la faim et la malnutrition».

Cependant, le sommet est dans la ligne de mire de centaines de petits producteurs de denrées alimentaires et d’organisations de la société civile qui pensent que la UNFSS ignore les droits humains et met à l’écart les petits producteurs qui représentent 70 à 80% de la production mondiale des aliments, privilégiant ainsi les intérêts des entreprises.

Un sommet qui représente les peuples ou les entreprises ?

Tout d’abord le problème vient des principaux organisateurs. Le Comité sur la sécurité alimentaire mondiale des Nations unies (CSA) est la première tribune intergouvernementale où l’on parle de sécurité alimentaire et de nutrition. Il s’agit d’un forum où les gens peuvent dialoguer et débattre avec les États et où les plus touchés par les politiques alimentaires et les activités des entreprises peuvent faire entendre leur voix.

Cependant, au lieu d’être comme le CSA, le sommet est plus proche des intérêts du Forum économique mondial. Cet organisme rassemble les 1 000 entreprises les plus puissantes du monde, dont Pepsi, Nestlé et même les gestionnaires d’actifs de BlackRock, société considérée comme le « premier investisseur mondial à détruire le climat ». Les grandes entreprises gagnent des milliards, et la plupart d’entre elles continuent de le faire malgré la pandémie, en imposant des modèles commerciaux qui détruisent les écosystèmes, paient des salaires de misère ou vendent de la malbouffe. Pourtant et malgré toutes ces nuisances, elles prétendent désormais trouver des solutions aux problèmes qu’elles ont créés. La nomination d’Agnès Kalibata, présidente de la plate-forme agroalimentaire Alliance for Green Revolution in Africa (AGRA), au poste d’Envoyée spéciale des Nations unies pour le Sommet sur les systèmes alimentaires de 2021 en est un bon exemple.

Ce sommet ne cherche pas à provoquer un changement systémique pour résoudre les multiples crises auxquelles nous sommes confrontés. Il parle de durabilité mais pas de justice. Il souhaite une meilleure nutrition mais ne fait rien pour contrer l’industrie de la malbouffe. Il parle d’améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs mais n’envisage pas de mettre fin à la concentration des entreprises et à l’accaparement des terres. Dans aucun de ses cinq « suivis de mesures » il donne priorité aux intérêts des personnes et des peuples.

Mise à l’écart des droits humains et de la démocratie

À moins que les personnes les plus touchées par la faim et la malnutrition ne deviennent prioritaires lors de ce sommet, les solutions proposées ne résoudront jamais la faim. Ceci a été la raison pour laquelle 550 organisations de la société civile ont envoyé une lettre au Secrétaire général des Nations unies en avril 2020. Les Rapporteurs spéciaux actuels et précédents des Nations unies pour le droit à l’alimentation ont également tiré la sonnette d’alarme quant à l’objectif du sommet.

En guise de réponse, le sommet a récemment invité le Mécanisme de la société civile (MSC) et des peuples autochtones pour les relations avec le CSA à y participer. Constitué en 2009 pour faire entendre la voix des agriculteurs et des petits producteurs, le MSC est le plus grand espace international constitué d’organisations de la société civile qui œuvrent pour la fin de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition.

Cependant, le MSC et ses 300 millions de membres déclarent qu’ils ne peuvent pas « monter dans un train qui va dans la mauvaise direction. » « Nous demandons que le sommet change radicalement de cap. Il doit commencer par demander des comptes aux entreprises et à ses représentants, qui ont affecté la vie, les moyens de subsistance des individus, les communautés, les écosystèmes, le bien-être et la santé des peuples. »

Le sommet doit alors réorienter tout son programme pour qu’il donne priorité aux droits humains et explique en détail comment ceux-ci ne seront pas subordonnés à la croissance économique et aux intérêts commerciaux. Les dirigeants de l’UNFSS doivent souligner l’importance d’un système multilatéral démocratique et qui inclut le CSA. La société civile doit proposer en toute autonomie une partie du programme qui expliquera comment il faut en finir avec la mainmise des entreprises sur les systèmes alimentaires.

À moins que les personnes les plus touchées par la faim et la malnutrition ne deviennent prioritaires lors de ce sommet, les solutions proposées ne résoudront jamais le problème de la faim.

Sans ces conditions, le sommet ne fera qu’augmenter le nombre de malades, d’affamés et de sous-alimentés. Les crises climatique et sanitaire, dont les effets accentuent déjà la faim et les inégalités, se poursuivront sans relâche. Et le sommet sera un fiasco, entraînant dans sa chute tout le système international.

Article de Kirtana Chandrasekaran, coordinatrice du Programme de la souveraineté alimentaire des Amis de la Terre International.

Cet article a été initialement publié dans le New Internationalist, le 17 mars 2021.

Image principal : des travailleurs de l’économie informelle comme Monica Agyeisells, photographiée alors qu’elle vendait des produits alimentaires sur le marché de Makola. Aucune représentation du Ghana ne se rendra au sommet de l’ONU tant que de grands groupes dominent l’agenda. Jonathan Torgovnik / Getty Images / Images sur le renforcement de pouvoir.