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Les négociations à la 14ème Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique ont débouché sur quelques avancées pour les peuples et la nature mais les entreprises conservent une forte influence sur le processus.

Depuis huit ans, ce sont les Objectifs d’Aichi 2010-2020 qui régissent les discussions. Ces objectifs étaient censés mener à des avancées considérables pour résoudre la crise de la biodiversité. Or, mise à part une poignée d’avancées limitées, presque aucun des objectifs n’a été atteint pendant cette période. Pire encore: on a constaté des reculs dans de nombreux domaines. En cause: l’inaction et l’absence de mise en œuvre des Objectifs d’Aichi par la plupart des pays parties à la Convention. A la COP14, qui s’est tenue en Égypte du 17 au 29 novembre passés, un ministre a même présenté des données importantes montrant qu’il y avait eu au moins 160 fois plus d’investissements dans des secteurs destructeurs que dans la protection de la biodiversité.

Prise en compte des peuples autochtones et des communautés locales

Les peuples autochtones et la société civile ont réussi à faire approuver l’appellation Aires de patrimoine autochtone et communautaire (APAC ou Indigenous and Community Conserved Areas – ICCA – en anglais). Le texte relatif à ces zones traite des communautés qui ont des pratiques de conservation de la nature sur leurs propres territoires (forêts ou autres écosystèmes). Ces aires se rapprochent grandement du concept de « gestion communautaire des forêts » que nous utilisons chez Amis de la Terre International.

Par ailleurs, nous avons réussi à faire reconnaître les « autres mesures efficaces basées sur la défense de l’environnement par zones » (other effective area-based conservation measures – OECM – en anglais). Il s’agit de zones riches en biodiversité et d’écosystèmes préservés, non protégés officiellement, mais gérés pour la plupart par des peuples autochtones.

Que la Convention reconnaisse que ces territoires sont aussi importants que les zones officiellement protégées est considérable, car les peuples autochtones sont souvent écartés de la gouvernance des zones de protection officielles. Or les endroits naturels les mieux protégés sont aussi souvent situés dans ces Aires de patrimoine autochtone et communautaire (APAC). Une gouvernance par les peuples autochtones est essentielle pour leur préservation. C’est désormais admis par les gouvernements.

Entreprises et conflits d’intérêts

Le texte de la Convention a été complété par une partie sur les conflits d’intérêt. Lors de la COP14, les organisations de la société civile ont pu constater que les entreprises étaient de plus en plus actives, qu’elles envoyaient des représentants faire du lobbying auprès des Parties et qu’elles cherchaient à occuper des postes au sein des organes consultatifs scientifiques. 

Si le texte approuvé sur les conflits d’intérêt n’est pas suffisant pour restreindre l’influence des entreprises, nous nous félicitons néanmoins de son existence et de la reconnaissance des conflits d’intérêts comme un problème. C’est notamment crucial pour les instances consultatives invitant des représentants des secteurs industriels, qui devront dorénavant déclarer lorsqu’il y aura conflit d’intérêts. Le fait qu’il existe des intérêts incompatibles avec la protection de la biodiversité est désormais beaucoup mieux reconnu.

Présence des entreprises à tous les niveaux

Le travail de lobbying des entreprises a été très visible dans tous les processus relatifs à la biologie de synthèse et dans les discussions sur le forçage génétique et les informations de séquençage numérique, qui permettent des formes d’organismes transgéniques extrêmement avancées. Les entreprises explorant ces domaines de recherche veulent pouvoir avoir carte blanche sans aucune réglementation. Certains de nos collègues dans les groupes membres des Amis de la Terre, au Nigéria et aux États-Unis notamment, travaillent d’arrache-pied pour contrer la puissante influence de ces entreprises.

Si la société civile n’est pas parvenue à obtenir de réglementation, comme nous le souhaitions, le principe de précaution a toutefois été reconnu. Toute entreprise envisageant de disséminer des organismes issus du forçage génétique dans l’environnement (pouvant totalement décimer ou modifier une espèce) devra d’abord obtenir le consentement préalable, libre et éclairé des communautés locales et des peuples autochtones.

Bloquer l’accès et s’accaparer les profits

La plupart des Parties devrait œuvrer encore davantage à atteindre les trois objectifs principaux de la Convention sur la diversité biologique: la conservation de la diversité biologique; l’utilisation durable des éléments constitutifs de la diversité biologique; et le partage des avantages issus de l’utilisation des ressources génétiques de manière juste et équitable.

La délégation suisse s’est particulièrement opposée à toute avancée concernant le partage des avantages issus des informations de séquençage numérique. Si elles ne semblent pas concerner directement les plantes, elles impliquent que les codes génétiques de plantes présentes en Amazonie, par exemple, peuvent être transférés sur Internet. Ce qui permet de contourner le partage des avantages. Les Suisses souhaitent protéger leur puissante industrie pharmaceutique. C’est pourquoi la délégation suisse a fait barrage au texte. Cependant, il y a eu, parmi les Parties, une certaine reconnaissance de la nécessité de travailler davantage sur ce sujet. Nous attendons donc avec impatience l’adoption d’une réglementation à la COP15 de 2020 en Chine.

2020, et après?

Nous entamons actuellement un processus d’élaboration d’un nouveau plan stratégique à mettre en œuvre à partir de 2020. Le processus de planification a été approuvé à la COP14 et tous les délégués ont plaidé pour un processus participatif et inclusif (mais ces bonnes intentions risquent fort de s’évaporer lorsqu’il s’agira de fixer concrètement les détails).

Amis de la Terre International et ses alliés continueront à plaider ardemment en faveur d’un processus véritablement participatif. Nous travaillons de concert pour intégrer nos exigences de justice sociale, d’économies fortes qui respectent les limites de la planète, d’inclusion des peuples autochtones et des communautés locales, et d’intégration de l’agroécologie – éléments cruciaux pour la préservation de la nature.

Ces deux prochaines années, nous ferons entendre notre voix haut et fort pour montrer au monde les voies à suivre.