Three young girls visit the new solar powerhouse at the heart of their community in Philippines

Sur l’île de Mindanao, dans le sud des Philippines, les Amis de la Terre Philippines (nom local Legal Rights and Natural Resources Center) travaillent avec une communauté autochtone T’boli-Manobo pour parvenir à la souveraineté énergétique, à travers la mise en place d’un système solaire hors réseau.

En mars 2022, le village de Ned, dans la province de South Cotabato, qui n’avait jusqu’ici pas d’accès à l’électricité, a mis en place un micro-système hors réseau utilisant la technologie photovoltaïque. Ce type de modèle d’énergie solaire s’inscrit dans le cadre d’un développement à faible émission de carbone pour le pays et peut être étendu aux zones reculées grâce au programme gouvernemental d’électrification des zones rurales.

Il s’agit d’une victoire pour la communauté, qui est engagée depuis plusieurs décennies dans une lutte contre une plantation de café industrielle et qui est actuellement confrontée à la nouvelle menace d’une centrale au charbon.

« Sanag » : un témoignage de souveraineté en matière d’énergie solaire

« Te gusto kamo sang radish (Est-ce que tu aimes le radis) ? » a crié Agustin alors que je retournais à la maison où nous étions logés.

« Où les trouveras-tu ? »

« Dans notre jardin »

« Salamat ! Merci ! Mais avant, demande la permission à ton père, s’il te plaît. »

Le deuxième jour à Datal Bonglangon, village de Ned, l’équipe chargée de l’installation solaire avait presque terminé son travail. Il ne restait plus que quelques maisons à raccorder à la centrale électrique. Vers 17h30, le petit village de plus de 45 maisons est enfin éclairé.

Datal Bonlagon solar project village EM Taqueban LRC
Un groupe de familles autochtones T’boli-Manobo vit à Datal Bonlagon.

En signe de reconnaissance, certains habitants ont apporté des tubercules et des fruits d’avocat pour que l’équipe d’installation solaire les ramène chez eux. Agustin, 8 ans, était l’un d’entre eux.

« Je peux maintenant étudier le soir », explique-t’il d’une voix douce avec son sourire à fossettes.

Son ami, Orlando, est d’accord avec lui : « Nous aurons enfin de la lumière ». Comme de nombreuses communautés autochtones, Datal Bonglangon n’a pas l’électricité. Auparavant, ils utilisaient des lampes à huile, mais ils se sont ensuite tournés vers les lampes de poche et les briquets à piles en raison du coût élevé de l’essence.

Agustin est un élève de l’école élémentaire Danyan. L’école porte le nom de Datu Victor Danyan, qui a fait don de la parcelle de terrain sur laquelle l’école a été construite. Le 3 décembre 2017, Datu Victor Danyan, ses deux fils et son gendre ont été assassinés par l’armée lors d’une répression violente. Le père d’Orlando fait également partie des victimes, alors que le garçon n’avait que cinq ans. Les deux garçons se souviennent encore du fracas des armes à feu et des explosions. « Nous avions tellement peur. Nous avons couru et sommes montés sur un chariot pour fuir jusqu’à Tulale. »

Pendant près de 20 ans, Datu Victor Danyan a dirigé l’organisation « T’boli-Manobo S’daf Claimants Organization (TAMASCO)» dans le cadre d’une campagne de lutte contre la plantation de café Dawang. En 2016, lorsque le permis de la plantation a expiré, le gouvernement a autorisé la société M&S à poursuivre l’exploitation des terres, via un tour de passe-passe administratif qui fusionnait le permis caduc avec un permis antérieur et ce sans le consentement ni la consultation des populations concernées regroupées dans TAMASCO. M&S est une filiale de DMCI (David M Consungji Inc.), un conglomérat d’entreprises familiales aux Philippines.

Après la répression militaire à Datal Bonlangon qui a fait huit morts, plusieurs membres de TAMASCO ont été arrêtés et accusés de meurtre ainsi que d’autres accusations inventées de toutes pièces. L’un de ces membres croupit toujours en prison, tandis que les autres sont en liberté sous caution et attendent leur procès. Adina Ambag, la sœur de Datu Victor, attend toujours son fils qui a été enlevé par les militaires et amené à Cotabato City.

Transporting the solar panels to the village was not easy in the muddy terrain of Datal Bonlagon.
Le transport des panneaux solaires jusqu’au village n’a pas été facile sur le terrain boueux de Datal Bonlagon.

Lemmy Danyan, l’un des bénévoles de la communauté qui a aidé l’équipe d’installation, a déclaré que le projet solaire leur apporterait désormais un sentiment de sécurité.

« Nous avoins peur de sortir de nos maisons la nuit à cause de ce qui s’est passé ici en 2017. Mais maintenant que nous avons l’électricité, nous nous sentons plus en sécurité », a-t-il déclaré, rayonnant.

Les jeunes vont également pouvoir étudier et faire leurs devoirs une fois la nuit tombée, comme le font Agustin et Orlando. Lemmy est étudiant en deuxième année de gestion d’entreprise à l’université. Il espère terminer l’université rapidement afin de pouvoir soutenir financièrement sa famille et sa communauté. « Nous allons les aider à apprendre à lire et à écrire. »

Lemmy and other community members assist with the installation of the solar-powered system.
Lemmy et d’autres membres de la communauté aident à l’installation du système à énergie solaire.

Le père de Lemmy, le frère aîné de Datu Victor, est décédé alors que Lemmy était encore enfant. Sa famille est persuadée que sa maladie a été causée par son grand désespoir face à l’accaparement continu des terres ancestrales par la plantation de café. Malgré le fait que la Commission nationale des peuples autochtones (NCIP) en 2018 lui ait intimé l’ordre de cesser son expansion, la société M&S continue à violer les terres ancestrales du peuple T’boli-Manobo pour y exploiter le café.

Datal Bonglangon est l’un des cinq points focaux de l’action de TAMASCO. L’organisation l’a choisi comme site pilote du micro-réseau solaire qui fournira un éclairage essentiel à 60 maisons ainsi qu’une station de charge standard dans la Maison communautaire où les gens pourront recharger leurs téléphones portables et leurs lampes de poche. Pour l’instant, 46 maisons sont ainsi équipées de l’électricité.

Children by solar powered light_EM Taqueban LRC
Un avenir moins sombre : les enfants de T’boli-Manobo profitent de la première nuit où la communauté a accès à l’électricité.

Lemmy et les autres volontaires de la communauté installeront les futurs raccordements, y compris l’extension vers l’école qui est située assez loin des maisons. Le directeur de l’école a déjà promis de fournir le câblage supplémentaire nécessaire pour la connecter. Une fois qu’ils auront l’électricité dans les classes, les enseignants pourront ainsi montrer des vidéos éducatives aux enfants.

« Je suis heureuse que notre communauté dispose enfin d’un éclairage électrique. Nous attendions cela depuis longtemps », a déclaré Ye Adina avec un grand sourire.

Mais son visage s’est immédiatement empli de tristesse et elle a soufflé : « Mais plus que la lumière solaire, j’espère que mon fils va bientôt nous être rendus. C’est lui ma vraie lumière. »

De la précarité énergétique au pouvoir populaire

Le modèle actuel de production et de transmission d’énergie des Philippines est centralisé. L’énergie est produite dans de grandes centrales électriques, principalement en brûlant du pétrole et du charbon. Elle est ensuite distribuée par le biais d’un réseau de distribution, mais la majeure partie (57.6 %) est utilisée pour le transport et l’industrie, notamment l’industrie lourde, l’exploitation minière et la construction.

La précarité énergétique est une réalité pour de nombreuses personnes aux Philippines. Les ménages ne reçoivent que le quart de la consommation nationale d’énergie et plus de 1.3 millions de Filipinos dans les zones rurales n’ont pas accès à l’électricité dans leurs foyers. L’accès est également plus précaire pour les habitants des zones rurale que pour les habitants des grandes villes tentaculaires comme Manille et Quezon.

Dans le monde, environ 770 millions de personnes – soit une personne sur dix – n’ont pas accès à l’électricité. Beaucoup d’autres souffrent d’un accès irrégulier ou de mauvaise qualité, et pour un nombre toujours plus grand de personnes, l’électricité est devenue trop chère pour être abordable.

Pourtant, l’accès à l’énergie est un droit humain fondamental et une condition nécessaire pour pouvoir mener une vie digne. Cet accès a un impact sur tous les aspects de notre vie – pouvoir faire la cuisine, étudier, rester au chaud et au sec, travailler, voyager, se faire soigner et communiquer. Dans le contexte de l’augmentation des chocs climatiques – ressentis de manière plus aiguë dans les pays du Sud qui ne disposent pas des infrastructures ou des ressources nécessaires pour s’adapter et mitiger les impacts des conditions météorologiques extrêmes – la nécessité d’une transformation de notre système énergétique est encore plus urgente. Il s’agit d’abandonner la génération d’énergie par la combustion de carburants fossiles et d’utiliser plutôt des sources d’énergie renouvelables, par le biais de systèmes qui sont contrôlés et détenus par les personnes elles-même et non par des entreprises.

Members of TAMASCO.
Des membres de TAMASCO.

Ce projet d’installation solaire a été soutenu par Legal Rights and Natural Resources Center (LRC / Amis de la Terre Philippines), grâce à une subvention de Amis de la Terre International. Mais le projet ne se limite pas à cette seule installation. Prochainement, un document de discussion de LRC développera cette approche ainsi que d’autres en vue de transformer le secteur de l’énergie.

« Sanag » signifie lumière ou éclat en langue hiligaynon. Ce témoignage original a été écrit par Jean Marie Ferraris et publié à l’origine sur le site Web de LRC en anglais. La présente version a été adaptée par Madeleine Race pour les Amis de la Terre International. Toutes les images sont la propriété de © EM Taqueban/LRC. Image principale : Trois jeunes filles visitent la nouvelle centrale solaire au cœur de leur communauté.