Karin Nansen

Deuxième partie: comment nous créons le changement

Deuxième partie d’une série marquant le 50e anniversaire des Amis de la Terre International en 2021.   

Dans la première partie, nous nous sommes penchés sur les moments charnières de l’histoire des Amis de la Terre International, et sur la façon dont l’idée commune de notre mission s’est concrétisée autour de la justice environnementale et d’un changement de système nécessaire.  

Dans cette deuxième partie, nous regardons la manière dont les Amis de la Terre International sont une force de changement, à travers nos activités de plaidoyer, de mobilisation, de création d’alliances, d’éducation et de formation politique. Nous verrons également comment nos relations avec d’autres organisations de défense de l’environnement, de travail social ou d’activités populaires ont évolué au fil des ans. Nous regardons ensuite vers l’avenir, en nous demandant le rôle qui incombe aux Amis de la Terre International ont à jouer dans cette période particulièrement difficile. 

Pour répondre à ces questions, les présidentes et présidents actuels et passés des Amis de la Terre International (Ricardo Navarro, Meena Rahman, Nnimmo Bassey, Jagoda Munic, Karin Nansen et Hemantha Withanage), ainsi qu’un membre fondateur du réseau (Edwin Matthews), se sont entretenus avec Amelia Collins (du secrétariat international) et José Elosegui (de Real World Radio). Cet entretien a été enregistrée sous forme de podcast par Real World Radio, et ce que vous lisez est une transcription légèrement modifiée de cette conversation. Pour de plus amples informations sur les participant.e.s, rendez-vous en fin de texte.

Edwin : Je pense que l’histoire de Amis de la Terre International est liée à l’histoire du mouvement pour l’environnement à travers le globe. Ce mouvement a commencé sur des sujets qui nous paraissent aujourd’hui moins importants. Il en est ainsi parce que ce qu’a traversé la planète ces 50 dernières années a fini par constituer une menace existentielle. L’ensemble de notre planète, l’ensemble de la vie sur cette planète, et la civilisation humaine dans sa totalité sont menacés. Et ce que l’histoire des Amis de la Terre International a démontré, c’est que nous représentons une organisation qui permet une réflexion indépendante, qui autorise les des points de vue indépendants, mais qui œuvre vers un objectif global : protéger et préserver efficacement la Terre et la vie. 

Au fil des ans, les Amis de la Terre International sont passés d’un sujet à un autre à mesure que des problèmes nouveaux émergeaient. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des problèmes que nous aurions dû tâcher de résoudre il y a 50 ans, voire même 100 ans, mais que l’humanité a mis longtemps à comprendre et à traiter. 

Les Amis de la Terre International constituent de ce fait une organisation protéiforme, qui est en mesure de relever les défis du monde réel. Ces enjeux sont en évolution permanente, raison pour laquelle notre organisation ne se consacre pas à trouver une seule solution, mais toutes les solutions. Une telle mission devient accessible lorsque l’on accueille et que l’on respecte les différentes points de vue, de nombreuses personnes différentes, sur le terrain, au quotidien. 

« Les Amis de la Terre International constituent de ce fait une organisation protéiforme, qui est en mesure de relever les défis du monde réel, qui sont en évolution permanente. » 
– Edwin Mathews

Si nous parvenons un jour à sauver la planète, ce sera grâce à ses habitants (ce qui inclut absolument tout le monde), habitants à qui il incombe de s’unir. C’est ce que nous nous efforçons de faire au sein de Amis de la Terre International. Je salue tous vos efforts, et je vous félicite pour tout ce que vous êtes parvenus à faire au cours des 50 dernières années. Merci.

Ricardo : Merci, Edwin. Je pense que l’une des tactique remarquable des Amis de la Terre International a été de débattre et de faire comprendre au public que la défense de l’environnement ne concerne pas seulement la biologie. Nous voyons évidemment l’environnement se dégrader, être détruit, et de nombreuses personnes irresponsables jettent leurs déchets dans la rivière, ce genre de choses. Mais toute ces destructions sont la conséquence logique d’un système économique, politique et idéologique qui est nocif pour la planète. 

Prenons les changements climatiques, qui sont liés à l’augmentation de la concentration de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il s’agit là du résultat de la production et de la consommation : les combustibles fossiles qui étaient dans le sol se retrouvent maintenant dans l’atmosphère. C’est là que se situe le problème : dans la demande observée dans le système économique. Je me réjouis que nous ayons su en discuter au sein des  Amis de la Terre.

Friends of the Earth International Palestine solidarity mission, 2013

Mission de solidarité internationale des Amis de la Terre avec la Palestine, 2013
© Les Amis de la Terre International

Une autre chose à mentionner, c’est que nous représentons une force politique considérable. Je sais que nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui ont peur de se lancer en politique. Mais si vous décidez de ne pas vous lancer dans la politique, c’est déjà, en soi, un positionnement politique. Il s’agit donc d’être du bon côté de la politique. Des sujets comme le combat du peuple palestinien ou l’apartheid en Afrique du Sud, les Amis de la Terre en ont longuement discuté. Beaucoup avaient peur d’ouvrir une discussion d’ordre politique, mais il fallait que nous le fassions. Et il me semble que nous sommes parvenus à surmonter cela, et que nous avons par conséquent progressé.  

« Tout l’enjeu consiste à être du bon côté de la politique… C’est une question de justice. Nous ne serons jamais de bons écologistes si nous ne nous occupons pas de sujets tels que celui de la justice. » – Ricardo Navarro

Force est par ailleurs de constater que la destruction de l’environnement ne se traduit pas seulement par la destruction des arbres ou des cours d’eau : elle détruit aussi les personnes. C’est une question de justice. Nous ne serons jamais de bons écologistes si nous ne nous occupons pas de sujets tels que celui de la justice.

Cela nous amène à une autre question, à savoir le fait de regrouper nos forces avec les très nombreuses personnes qui revendiquent leurs droits, par exemple, les populations autochtones, ou bien les syndicats.

Je pense que toutes ces tactiques qui ont été et qui sont les nôtres aux Amis de la Terre International sont particulièrement pertinentes et utiles. Elles nous ont aidés à devenir le mouvement que nous sommes aujourd’hui. 

Meena : Je pense que la force des Amis de la Terre International dépend de la force de nos groupes membres. La façon dont nous avons fait évoluer le processus d’intégration de nouveaux membres était stratégique : nous savions que la fédération seule ne serait pas en mesure de réaliser grand chose si ses groupes membres étaient faibles. Je pense qu’il a s’agit là d’un aspect stratégique de la plus haute importance. 

Ensuite, pour beaucoup de nos groupes membres, les Amis de la Terre ont parfois aidé grâce aux fonds provenant du mécanisme de soutien aux groupes membres. Ce fut notamment le cas pour le groupe auquel j’appartiens, Sahabat Alam Malaysia, lorsque nous avons traversé une crise majeure. Sans cette aide, nous aurions disparu en tant que groupe. Je souhaite par conséquent exprimer ici toute ma reconnaissance aux Amis de la Terre International pour avoir veillé à ce que la famille et les membres de la famille continuent à bénéficier de ressources et d’un soutien. 

Je pense par ailleurs qu’il convient de ne pas sous-estimer la contribution, au fil des ans, de nos présidentes et présidents, mais aussi du secrétariat et de son équipe. Les structures régionales ne sont quant à elles pas là uniquement pour le plaisir de disposer de cette structure : elles sont placées sous la direction de personnes qui sont issues des groupes membres, qui s’assurent que les éventuels problèmes que connaissent les groupes membres sont résolus, et que ces groupes membres disposent des ressources nécessaires.

School of sunstainabilty Indonesia 2016

Première réunion de l’école de durabilité des Amis de la Terre Asie-Pacifique en Indonésie, 2016.
© Les Amis de la Terre International

L’école de durabilité a vu le jour en Amérique latine, puis a été répliquée en l’Asie, ainsi qu’en Afrique, me semble-t’il. Il s’agissait là d’une volonté délibérée de transmettre une vision d’ensemble aux jeunes de nos organisations : l’idée du changement de système. Nombre de nos groupes membres et de notre personnel sont très compétents sur le terrain, mais ils ne possèdent que rarement cette vue d’ensemble, pas plus qu’ils ne disposent d’une bonne compréhension des facteurs des destructions en cours. Je crois que l’école de la durabilité apporte précisément cela, et constitue dès lors une ressource très importante pour nous. 

L’alignement du travail national avec l’échelle internationale, à travers les programmes, a toujours été difficile. Une fédération n’est pas seulement un collectif d’actions qui se dérouleraient à l’échelle nationale. Une fédération, c’est aussi la façon dont les activités locales et nationales informent les processus internationaux, les espaces dans lesquels nous nous battons – qu’il s’agisse de la lutte contre le changement climatique à la CCNUCC, ou dans la Convention sur la diversité biologique, ou encore à l’Organisation mondiale du commerce ou au Conseil des droits de l’homme. Je pense que c’est cette dialectique entre l’international et le national qui procure une certaine synergie aux programmes, ainsi qu’aux comités de pilotages, qui sont très importants et très dynamiques. 

Friends of the Earth International and allies at the Convention on Biological Diversity COP, Nairobi, 2019

Les Amis de la Terre International et leurs alliés à la COP de la Convention sur la diversité biologique, Nairobi, 2019. 
© Les Amis de la Terre International

« Une fédération n’est pas seulement un collectif d’actions qui se dérouleraient à l’échelle nationale. Une fédération, c’est aussi la façon dont les activités locales et nationales informent les processus internationaux, les espaces dans lesquels nous nous battons. »  – Meena Rahman

En ce qui concerne « mobiliser, résister, transformer », si vous déployez chacune de ces stratégies, ça représente vraiment des choses considérables, mais nous avons réussi à les rassembler. Quand nous menons des débats houleux au sein de la fédération sur des sujets ou des articulations, une fois le problème résolu je dirais qu’il est très facile ensuite de convaincre d’autres personnes à l’extérieur. C’est ce qui fait à mon sens la richesse des Amis de la Terre. 

Une dernière chose : le procès contre Shell, ça représente est une immense victoire au Nigeria dans sa bataille contre cette multinationale. Je suis sûr que Nnimmo confirmera que cette victoire n’aurait pas été possible sans les Amis de la Terre.

Eraks Kobah, with oil soaked mud on his hand, stands in the oil drenched creek in Ogoniland, Nigeria

Eraks Kobah, de la boue pleine de pétrole sur la main, se tient dans la crique imbibée de pétrole dans l’Ogoniland, au Nigeria. 
© Amelia Collins/Amis de la Terre International

Nnimmo : Tout à fait, Meena. Sans la collaboration entre les groupes du réseau des Amis de la Terre, mettre Shell à genoux à La Haye serait resté à l’état de rêve. C’est la beauté de notre travail, de nos pratiques au sein de la fédération : faire collaborer des groupes, physiquement présents sur place pour approfondir les luttes par le biais des campagnes des Amis de la Terre Pays-Bas et d’autres groupes comme les Amis de la Terre Nigeria, qui travaillent ensemble pour intenter des procès et exiger des comptes à cette grande entreprise. 

Cette intensification de la lutte est très importante. Elle nous aide dans de nombreux autres domaines à partager nos connaissances, nos stratégies, à comprendre ce qui a fonctionné ailleurs, ce qui n’a pas marché, tout cela en vue d’optimiser le temps et les ressources dont nous disposons. 

L’une des stratégies employées par les Amis de la Terre International pour s’impliquer auprès des organismes multilatéraux est la stratégie « dedans-dehors ». Il faut des personnes à l’intérieur pour collecter des informations, suivre ce qu’il se passe, avoir une vue d’ensemble. Et il faut également des personnes à l’extérieur, pour se mobiliser et faire pression sur ce qui se passe à l’intérieur. C’est ce que font régulièrement les Amis de la Terre International, que ce soit dans le cadre des négociations sur le climat ou de la Convention sur la diversité biologique. Ça a joué un rôle important pour les victoires, petites ou grandes, que nous avons remportées. 

La fédération a joué un tel rôle dans le développement de la protection de l’environnement pour plus de justice, qu’il est possible d’affirmer que nous présentons un modèle dont d’autres groupes pourront s’inspirer. C’est toujours une trajectoire, des processus, et c’est parfois difficile, parce que nous sommes une fédération de groupes indépendants. Nous avons besoin d’une structure flexible qui soit néanmoins cohérente en termes de contenu, de ce que l’on doit faire, et de ce que sont nos luttes. 

Comme Meena l’a dit, on ne saurait raconter cette histoire de la fédération sans parler des structures régionales. Ces structures se situent entre l’international et le local, les organes nationaux, et elles permettent de prendre du recul et de capter des signaux sur ce qui doit être fait sur le terrain. 

Le secrétariat fournit quant à lui une plateforme pour faire se croiser des idées, pour  partage des informations importantes provenant d’autres structures. Son rôle a là encore été  très utile. 

Avant de passer la parole à Jagoda, permettez-moi de vous parler de deux moments à mon sens essentiels. D’abord ce qui s’est passé à Copenhague, lorsque notre délégation a été tenue à l’écart de la salle. Cela a montré le dédain du système multilatéral à l’égard de la présence de la société civile, pour les voix des populations locales. Mais nous avons su dépasser cette humiliation, et c’est louable de notre part. 

Personne ne pourra nous décourager, ni nous empêcher d’être là où nous devrons être, là où nous voulons être à tel ou tel moment. La persistance de nos luttes a contribué à mettre la pression sur le système et, avec un peu de chance, en maintenant nos efforts, nous finirons par obtenir la transformation que nous appelons de nos vœux. 

Friends of the Earth International is barred from entering the UNFCCC negotiations in Copenhagen in 2009

Les Amis de la Terre International se voient refuser l’accès aux négociations de la CCNUCC à Copenhague, en 2009.
Les Amis de la Terre International

« La persistance de nos luttes a contribué à mettre la pression sur le système et, avec un peu de chance, en maintenant nos efforts, nous finirons par obtenir la transformation que nous appelons de nos vœux. » – Nnimmo Bassey

Pour finir, le fait d’être une fédération présente un peu partout dans le monde, et notre solidarité entre le Nord et le Sud, et entre tous les continents, toute cela a été vital pour construire cette force et cette cohésion dont nous avons besoin. En particulier maintenant que nous sommes confrontés à de tels enjeux existentiels. Se rassembler et rester soudés, avec toutes ces énergies venant de différents domaines, de tous ces secteurs, c’est tout ce dont nous avons besoin. Car nous ne nous battons pas de manière cloisonnée. Nous nous battons pour nous-mêmes, pour notre justice, pour nos droits, pour notre droit à vivre dans la dignité, et à vivre en jouissant de tous nos droits. Les 50 années de notre lutte ont été 50 années bien investies. Et j’attends avec impatience les nombreuses autres années de lutte et de célébration de différentes victoires.

Jagoda : Merci Nnimmo. Juste pour signaler quelques compétences importantes qui nous seront certainement utiles à l’avenir : nous apprenons de nos conflits, nous apprenons de nos différences, et nous avons bâti une organisation plus cohérente, plus stratégique, plus variée, et je dirais plus forte aussi. Je pense que nous pouvons tous être fiers de notre force en ce moment. 

La compétence que l’on peut sans doute développer demain est celle qui consiste à écouter attentivement l’autre, à essayer de comprendre ce que le personne dit. C’est important de ne pas avoir qu’une seule version. C’est important cette diversité, et le fait de développer des campagnes, des tactiques, de choisir des tactiques de aussi diverses que possible, pour nos structures régionales, et du local à l’international, parce que le résultat sera meilleur. Il répondra mieux aux différents besoins. Ce résultat tiendra compte des différentes perspectives, et des différentes connaissances. 

Les apprentissages que nous tirons des processus, c’est aussi particulièrement important. C’est fondamental que les différentes régions et les différents pays apprennent les uns des autres, parce que nous avons toujours quelque chose de nouveau à apprendre. Et c’est aussi important de parler du respect. Et aussi de sortir de notre zone de confort. 

Si je regarde vers l’avenir, j’aimerais trouver une fédération encore plus forte, encore meilleure, qui apprenne en permanence, tout le temps, en s’adaptant, en développant de nouvelles compétences. Nous comptons parmi nous des personnes tellement brillantes dans cette fédération, capables d’accomplir beaucoup plus que ce que nous avons fait au cours des 50 dernières années. 

Quand on regarde vers l’extérieur, comme l’a dit Edwin, on a besoin d’espoir. Ce que j’entends quand il dit cela, c’est que vous avez consacré votre vie à un mouvement de justice environnementale, et que nos objectifs ne sont toujours pas atteints. Nous continuons d’observer toutes ces injustices à travers le monde, nous continuons de constater la destruction de l’environnement. Le rapport du GIEC du mois dernier, il est effrayant. Il ne nous reste pas beaucoup de temps. En fait, nous n’avons plus du tout de temps pour enrayer le changement climatique. Il est déjà trop tard pour l’arrêter. C’est ce que j’en ai compris. 

Dans le même temps, j’entends nos jeunes militants se désespérer : mon dieu, c’est tellement accablant, tout ce qui se passe… Comment allons-nous nous relever de cela ? 

Donc certes, il faut aussi transmettre de l’espoir aux gens, mais nous devons aller au-delà de l’espoir. Nous devons revenir à ce qu’Edwin a dit au début : l’action. Choisir une action qui soit stratégique. Ne pas s’arrêter. Je veux dire, peu importe qu’il soit peut-être trop tard, 50 ans trop tard pour agir sur tel ou tel aspect. C’est toujours mieux maintenant que dans 50 ans

« Choisir une action qui soit stratégique. Ne pas s’arrêter. Je veux dire, peu importe qu’il soit peut-être trop tard, 50 ans trop tard pour agir sur tel ou tel aspect. C’est toujours mieux maintenant que dans 50 ans. » – Jagoda Munic

Il va nous falloir travailler encore pour que cette vision se concrétise. Je pense que nous pouvons et que nous devons inciter les gens à partager notre vision. Notre discours de justice sociale et environnementale parle véritablement les gens, et c’est le bon. 

Je pense que notre discours et nos solutions, des solutions concrètes et réelles sur le terrain, depuis le local jusqu’à l’international, permettent de participer à rendre notre mouvement plus fort encore, et à combattre le pouvoir en face, lequel dispose de beaucoup plus de ressources et d’argent. C’est un peu comme David et Goliath. Nous sommes plus faibles en termes de pouvoir pour le moment, mais en amplifiant ce pouvoir en nous associant à des mouvements, des mouvements sur le terrain, et à l’échelle planétaire… Tôt ou tard, nous réaliserons notre vision.

Karin : Au regard ce dont nous venons de discuter aujourd’hui, il me semble évident que nos stratégies et nos tactiques sont éclairées par des processus collectifs, à la fois au sein de la fédération et avec nos alliés, au niveau local, national et international. Les tactiques et stratégies que nous développons sont nourries par cette approche de base, par les luttes populaires pour la défense des territoires, pour la défense des droits des peuples dans le monde entier. 

Autre stratégie très importante qui est la notre : la convergence des mouvements sociaux. Nous nous y employons à l’échelle internationale, par exemple dans le mouvement pour la justice climatique, ou dans le mouvement pour la souveraineté alimentaire. Nous nous y employons au niveau régional, en Amérique latine avec La Jornada Continental, où un grand nombre de mouvements convergent, mais aussi avec la caravane africaine pour la terre, les semences et l’eau, ou encore dans le mouvement pour la justice climatique en Asie-Pacifique. Cette notion de convergence est particulièrement importante à nos yeux. 

Pour favoriser cette convergence, il nous faut instaurer une confiance entre ces différents mouvements. Il ne s’agit pas seulement de s’occuper de la marque. Nous sommes assez différents des autres organisations à cet égard – nous ne nous soucions pas de l’image de marque derrière nos actions, nos luttes. Nous nous intéressons néanmoins au processus de construction de la confiance, de l’unité entre les mouvements, et nous nous assurons que nos résultats politiques sont profondément ancrés dans les luttes des peuples du monde entier. 

Pour l’avenir, je pense que nous devons continuer à approfondir notre compréhension des causes profondes des crises systémiques. La crise alimentaire, la crise climatique, la crise de la biodiversité – toutes ces crises sont liées entre elles. Nous devons comprendre ces causes profondes afin de les traiter réellement, d’apporter les solutions venant des populations locales ; toutes ces solutions auxquelles nous croyons, et qui existent d’ores et déjà. 

Et il nous faut avant tout comprendre que la crise est en réalité la conséquence d’un système fondé sur l’exploitation des peuples et de la nature ; un système qui est là pour accumuler encore et toujours des profits pour un très petit nombre de personnes, ce qui implique inévitablement une concentration des ressources et du pouvoir entre quelques mains. C’est là un véritable défi pour la démocratie. Le pouvoir des multinationales est vraiment dévastateur et compromet le multilatéralisme. Il met réellement notre planète en danger, et aggrave la crise climatique, entre autres effets délétères.

Internationalist solidarity- remembering our fallen comrades in Indonesia_2016

Solidarité internationaliste – en souvenir de nos camarades tombés en Indonésie, 2016.
© Amelia Collins/Amis de la Terre International

Il nous faut donc impérativement nous organiser : une meilleure capacité d’organisation à la base, au niveau régional et international.  Tout cela signifie construire l’internationalisme, construire la solidarité, construire la solidarité internationaliste, à savoir se battre ensemble tous les systèmes d’oppression. 

« Nous devons renforcer le pouvoir des peuples. Nous devons nous réapproprier la politique. Nous devons reprendre le contrôle de notre système énergétique, de notre système alimentaire, de nos forêts et de la biodiversité, de nos économies. Nous devons tendre vers une économie féministe. Nous devons construire une nouvelle économie fondée sur la centralité de la durabilité de la vie. » – Karin Nansen

Nous vivons dans un système qui transforme la nature en marchandise, qui exploite la nature et qui la détruit. Mais il détruit aussi les populations. Il dévaste nos communautés locales, nos systèmes de vie. 

Cela signifie revenir en arrière et dire que nous, les peuples, devons nous rassembler pour contrôler nos sociétés, pour contrôler nos systèmes, pour ôter le pouvoir aux sociétés transnationales et se le réapproprier, ensemble. 

C’est ce que nous faisons actuellement. Cela semble une tâche trop vaste, mais c’est cependant une trajectoire dans laquelle nous nous sommes engagés. Nous nous rendons compte que nous devons nous réapproprier la politique publique, ainsi que la politique publique internationale. Nous devons nous assurer que nous défendons le multilatéralisme, mais il nous faut également le changer, pour en faire une sorte de multilatéralisme juste.

C’est ce chemin que nous empruntons aujourd’hui : la lutte contre l’oppression, la lutte contre le patriarcat, le racisme, le colonialisme, l’exploitation de classe. C’est un combat qui nous maintient uni.e.s et nous permet de construire cet internationalisme dans lequel nous nous retrouvons toutes et tous ensemble, dans lequel nous luttons ensemble. Chaque combat, chaque lutte qui se déroule dans toutes les régions du monde, est en réalité aussi notre lutte. Et c’est de cette manière que nous construisons cette solidarité internationaliste.

Hemantha : C’estun vrai plaisir d’entendre ces mots encourageants de la part de nos anciennes et anciens présidents, qui sont encore dans le réseau. 

Notre mission est claire. Nous continuons à construire ce réseau avec le même modèle : résister, mobiliser, transformer. Par rapport à il y a 50 ans, les problèmes en cours sont très nouveaux, très différents, et beaucoup de nos communautés de première ligne souffrent de diverses injustices environnementales, et sont confrontées à de nombreux nouveaux problèmes majeurs. Nous ne pouvons donc pas déployer ces efforts seuls en tant que fédération : il nous faut travailler avec tous les groupes qui partagent les mêmes idées à l’avenir. Nous sommes en train de construire la fédération et de multiplier le nombre de nos groupes membres, et nous sommes en train de construire une fédération forte. 

Nous poursuivrons nos travaux en tant que fédération, et nous nous opposerons également à nos propres gouvernements locaux et leurs mécanismes de développement, leurs injustices, leurs systèmes juridiques erronés.  

Nous nous confrontons également aux instances mondiales, à la CCNUCC, lors des discussions sur la convention sur la diversité biologique. Nous demandons un traité juridiquement contraignant pour les multinationales. Nos communautés locales en première ligne se battent sur le terrain, et nous souhaitons représenter un soutien solide pour toutes ces populations. 

La dernière partie de notre devise est : « transformer ». Nous demandons un changement de système parce qu’avec ce modèle capitaliste néolibéral, les pays, et les peuples, souffrent grandement. 

Je pense donc que le rôle des Amis de la Terre International est de faire pression, de maintenir cet élan, d’amener de plus en plus de groupes partageant les mêmes idées à poursuivre ce combat jusqu’à ce que nous voyions l’avènement d’un monde sans injustice, où les personnes vivent dans un monde durable, en harmonie avec la nature. 

Friends of the Earth International members from around the world gathered in Indonesia for the 2016 Biannual General Meeting

Les groupes membres des Amis de la Terre International, venant des quatre coins du monde, 
réunis en Indonésie pour l’assemblée générale biannuelle de 2016.
© Amelia Collins/Amis de la Terre International

Cette fédération est construite sur différentes structures : nous avons un secrétariat international basé aux Pays-Bas ; et nous avons ces structures régionales basées dans différentes régions. Nous comptons des coordinateurs de programmes internationaux, la plupart d’entre eux siégeant dans nos groupes membres. Nous tenons à les remercier toutes et tous. Nous disposons de nombreuses autres structures, et les membres et les équipes de travail des groupes membres et leurs membres en disposent également. Sans ce type de structure diversifiée, nous ne pourrions pas continuer à nous battre. 

Je tiens à les remercier tous pour le travail acharné qu’ils ont abattu dans le but de créer la fédération des Amis de la Terre, et de mettre sur pied cette campagne pour lutter contre tous les mauvais paradigmes auxquels nous faisons face aujourd’hui. Nous voulons changer ce paradigme, et sans leur soutien, nous ne pouvons pas le faire. Merci beaucoup.

« Le rôle des Amis de la Terre International est de faire pression, de maintenir cet élan, d’amener de plus en plus de groupes partageant les mêmes idées à poursuivre ce combat jusqu’à ce que nous voyions l’avènement d’un monde sans injustice, où les personnes vivent dans un monde durable, en harmonie avec la nature. » – Hemantha Withanage

Lire la suite : Première partie

Écouter : podcast original en anglais

Participantes

  • Edwin Matthews, l’un des premiers directeurs des Amis de la Terre aux États-Unis [créé entre 1986 et 1989], et qui a participé à la création des Amis de la Terre en France en 1970, des Amis de la Terre Angleterre, Pays de Galles et Irlande du Nord en 1971, et des Amis de la Terre International. 
  • Ricardo Navarro, de Cesta/Amis de la Terre Salvador, président des Amis de la Terre International de 1999 à 2004. 
  • Meena Rahman, de Sahabat Alam Malaysia [Amis de la Terre Malaisie], présidente des Amis de la Terre International de 2004 à 2008. 
  • Nnimmo Bassey, président des Amis de la Terre International de 2008 à 2012. 
  • Jagoda Munic, présidente des Amis de la Terre International de 2012 à 2016, et désormais directrice des Amis de la Terre Europe
  • Karin NansenREDES/Amis de la Terre Uruguay, présidente des Amis de la Terre International de 2016 à 2021.
  • Hemantha WithanageCentre for Environmental Justice / Les Amis de la Terre Sri Lanka, qui a pris ses fonctions en juillet 2021.

Image principale
Justice de genre et démantèlement du patriarcat :  Karin Nansen lors de l’assemblée générale biannuelle des Amis de la Terre International, au Nigeria, en 2018
© Amelia Collins/Amis de la Terre International.